dimanche 24 août 2008

LA VIE DES FEMMES DANS LES PALAIS



Toutes les activités au sein des palais interdits étaient toujours regardées comme des mystères. De l’est à l’ouest, de nombreuses anecdotes étaient tissées concernant la vie du monde féminin au service du roi qui, au nom de la volonté céleste, gouvernait la cour et le peuple. Enfermées dans les quatre murs pourpres de la Cité interdite, séparées du monde extérieur, comment ces femmes pouvaient – elles vivre et se divertir dans leur domaine régné par un seul être du sexe opposé au pouvoir absolu ? Il s’agissait des “anecdotes peu connues des palais mystérieux”, difficiles à connaître. Comment organiser et diriger cette collectivité féminine, de tout âge et de toute position sociale, pour éviter tout problème néfaste ? Dans l’ancienne société, la rigoureuse morale confucéenne, basée sur les privilèges de l’homme, sous-estimait la femme. En faisait preuve cette expression railleuse : “ Trois femmes égalent un malhonnête” – ( les trois caractères chinois de “nu” – femme – forment le caractère de “gian” – malhonnête -). Alors, comment cet ensemble d’un millier de femmes se comportaient-elles pour disputer un seul monarque ?

Naturellement leur vie n’était point simple comme nous le croyions. Vivant dans un espace restreint, en lutte permanente pour survivre et pour avancer, elles laissaient leurs sentiments et désirs pousser à volonté, différemment de la manière des femmes de campagne. Le roi Gia Long, si puissant fût-il, se plaignait souvent en parlant de ses épouses, comme le prouvait le Souvenir de Hué , écrit par Michel Duc Chaigneau, fils de Jean Baptiste Chaigneau et de Madame Ho Thi Hue, né en 1803 avec le nom vietnamien de Nguyen Van Duc. Lorsque J.B. Chaigneau était mandarin au règne du roi Nguyen Anh sous le nom vietnamien de Nguyen Van Thang, le roi reconnut sa contribution en l’unissant à Ho Thi Hue. Il continua sa carrière mandarinale sous le règne de Gia Long puis , voyant que le roi tenait les mandarins de nationalité française à distance, il demanda une retraite anticipée puis rentra en France. Dans Souvenir de Hué, le passage relatant la conversation entre le roi Gia Long et lui révélait que le roi n’avait aucun problème dans le commandement d’une grande armée ou dans l’administration de tout un pays et qu’il lui était vraiment difficile de diriger ses épouses dans la cour. Le roi fit part sans hésitation à Nguyen Van Duc de ses ennuis éprouvés au retour du palais à la fin des audiences royales. J’y tomberai sur des démons méchants. Elles ne nous ressemblent pas, elles se querellent, se disent du mal, s’entre-déchirent et à ma vue, elles accourent, pleurent en criaillant désagréablement, habits débraillés, visage fâché ou affligé, et demandent mon arbitrage.”

Naturellement le roi exagéra un peu par ces paroles humoristiques mais c’était à peu près de cette façon que se passait la dispute des concubines, odalisques, servantes dans la cour dans le but d’obtenir la faveur du roi. Ni le roi Gia Long et ni Michel Duc Chaigneau n’avaient trop faussé la vérité, on pouvait le croire. Alors, comment cette collectivité de femmes était-elle organisée ?

LES TROIS RÉSIDENCES ET LES SIX PAVILLONS OU LE HAREM ROYAL.

Il s’agit des trois résidences à l’architecture grandiose et resplendissante, réservées aux trois femmes des plus élevés` rangs de la cour : la grand-mère, la mère et l’épouse officielle du roi.

La femme qui jouissait des plus grands honneurs et de la plus élevée position était la Thai Hoang Thai Hau, ou la grand-mère du roi. Le roi la respectait particulièrement et lui réservait une résidence personnelle pourvue de grands conforts. Dans la dynastie des Nguyen, cette résidence était construite pour la première fois en 1822, l’année du Cheval, sous le règne de Minh Menh. Située dans l’enceinte de la Cité pourpre interdite, donnant sur l’est, elle était construite du style “trung thiem diep oc”, c’est- à-dire avec deux bâtiments contigus par un même toit, comme les autres palais de la dynastie des Nguyen. Le roi Minh Menh voulait s’en servir comme un lieu de loisir, il y fit édifier pavillons, attiques, montagnes artificielles en rocaille, lacs… Le roi Thieu Tri accéda au trône, la reine Thuan Thien devint la grand-mère du roi, la résidence était restaurée Des travaux supplémentaires étaient ajoutés en cette occasion. Entourée d’une muraille de briques, appelée d’abord Résidence Truong Ninh ( Tranquillité ) et puis Truong Sanh ( Longévité ) par le roi Khai Dinh, elle avait un grand hall du nom de Ngu Dai Dong Duong ( Hall de Coexistence des Cinq générations ). On savait qu’en 1843, Hong Bao mit au monde son premier fils Ung Dao. De la génération de la reine Thuan Thien jusqu’ à celle de Ung Dao, on en comptait cinq : voilà l’explication de la désignation du hall.

Il y avait encore d’autres constructions : au milieu, le temple Tho Khuong, à côté, le Pavillon Van Phuc, puis, en arrière, les montagnes artificielles Buu Son, et enfin le lac de Dao Nguyẹn Le paysage y était si splendide que le roi regardait cette résidence comme le septième des vingts beaux sites de la cité impériale. Dans la résidence, la Reine Grand-Mère était servie par une trentaine d’oalisques, de servantes et d’eunuques.

Celle qui occupait le deuxième rang dans la cour était la Reine-Mère qui habitait la Résidence Truong Tho, construite par le roi Gia Long en 1803, l’année du Cochon, après la reconquête de la capitale Phu Xuan. Ce nom était changé plusieurs fois : en Tu Tho en 1820 ( première année du règne de Minh Menh) , puis Gia Tho ( par Tu Duc ), Ninh Tho ( par Thanh Thai ) et enfin Dien Tho ( par Khai Dinh ). La Résidence Dien Tho, située aussi en dehors de la Cité pourpre interdite, était en meilleur état par rapport à celle de la Reine Grand-Mère. Elle était entourée d’une grande muraille trouée de quatre porches : la principale, porche Tho Chi, donnait sur le sud. Cette porche traversée, on arrivait à une large cour de briques avec, des deux côtés, deux maisons de séjour à gauche et à droite ( Ta Tuc Duong et Huu Tuc Duong), puis une muraille basse en briques, un paravent au milieu, et les deux porches Thuy Quang et Trinh Ung. Derrière la muraille basse c’ était la construction principale de la résidence englobant un hall carré, à gauche, deux longs corridors et un appartement où l’on buvait du thé, à droite, un autre corridor et un appartement de thé. En arrière on voyait le hall principal, très large, couvert de tuiles, avec des balcons à l’est et à l’ouest. Devant le balcon de l’est s’ étendait un lac carré avec le Pavillon flottant Ta Truong, couvert de tuiles bleues. Le balcon de l’ouest était embelli d’une montagne artificielle en rocaille. Derrière le hall principal se dressait le pagodon bouddhique Phuoc Thọ. À l’extrémité de la cour, vers le nord, se trouvaient le temple Tho Ninh et d’autres petites constructions telles que cuisine, entrepôt… Il y avait aussi le théâtre Thong Minh òu le groupe de théâtre Thanh Binh et le chœur féminin venaient donner des représentations.

La troisième personne du palais royal en charge de la gestion du harem était la Hoang Quy Phi, première épouse officielle du roi. Avant le règne de Khai Dinh, celle-ci habitait à la résidence Khon Thai, située dans la Cité pourpre interdite, juste derrière le Palais Can Thanh réservé au roi. Cette résidence était appelée Khon Duc au règne de Gia Long puis Khon Thanh par Minh Menh après son avènement en 1833. Le hall Cao Minh Trung Chinh, hall principal de la résidence Khon Thai, était aussi construit sur le modèle de “deux bâtiments contigus avec un même toit”. Cette construction englobait au milieu 7 travées, devant et derrière 9 travées, et des corridors à l’est et à l’ouest. À l’est, c’ était le Tinh Quan, sorte de théâtre réservé au roi et aux résidents du palais. Cette résidence fut détruite au règne de Khai Dinh, la première épouse du roi déménagea au palais Kien Trung . Outre la Hoang Quy Phi, première épouse, le roi avait une ou deux autres. Celles-ci étaient aussi adorées du roi, certaines mieux que la première. Pourtant il fallait respecter les règles de la cour, elles devaient être classées au-dessous de la Quy Phi. En 1811, l’année de la Chèvre, le roi Gia Long fit construire le palais Trinh Minh comme logement pour les épouses de second rang.

En dehors des trois grandes résidences réservées aux femmes les plus puissantes de la cour, et le palais Trinh Minh pour les épouses de second rang, dans l’enceinte de la Cité pourpre interdite il y avait encore six pavillons. Situé à l’ouest du palais principal, c’est- à-dire à droite du Palais Can Thanh, c’ était le pavillon Thuan Huy, réservé aux épouses classées au rang des Tan ( Hue Tan, Thuc Tan, par exemple).

À l’est du Pavillon Thuan Huy se trouvaient 5 autres : Doan Thuan, Doan Huy, Doan Trang, Doan Tuong et Doan Hoa. Ces pavillons, reliés au Palais Can Thanh du roi par un corridor, étaient réservés aux concubines des rangs Tiep Du, Tai Nhan, My Nhan, Qui Nhan ou des nouvelles recrutées pas encore classées.

Ce serait une lacune si, en parlant du harem royal, nous n’abordions pas le logement des Thai giam ( eunuques ). Le pavillon réservé aux eunuques se trouvait au nord et à droite du pagodon Van Phuoc dans la Résidence Dien Tho, près du Théâtre Royal réservé aux Reines-Mères. Les eunuques étaient chargés de transmettre les ordres du roi dans la cour; de naissance ou par auto-castration, ils appartenaient au genre neutre et existaient dans n’importe quelle dynastie.

Dans les palais, de la reine grand-mère aux servantes, chaque femme menait, selon sa position et son rang, une vie différente au sein des quatre murs. En général, les femmes de haute position et de grand pouvoir pouvaient vivre une vie confortable, heureuse, dans un paisible loisir. Les reines grands-mères et les reines-mères, après tant de services, pouvaient jouir d’une vie heureuse au point de vue matériel et tranquille au point de vue spirituel. Elles n’avaient peur de personne, y compris le roi. Pourtant certaines portaient attention aux affaires des rois, telles la reine Thuan Thien ou la reine Tu Du. Loin de consacrer ses jours aux loisirs ou aux cultes, elles s’intéressaient aux activités de la cour, et intervenaient, par leur influence, si les rois faisaient tort. C’ était le cas du roi Minh Menh qui voulait instituer prince héritier le fils de la concubine Ngo Thi Chinh, au lieu de son fils aîné Mien Tong. Le roi fut convaincu pour changer sa décision. La Biographie des grands hommes du Dai Nam raconta la façon dont la reine Tu Du éduquait le roi Tu Duc par des suggestions concernant la modification du contenu des pièces de théâtre classique chinois conformément à la morale nationale. La reine Tu Du adorait regarder le théâtre classique, surtout des pièces d’origine chinoise telles que “L’expédition à l’est de Chiao Ting Quai” , L’expédition à l’ouest de Chiao Ting Quai” …. Un jour, à l’occasion d’une fête, elle fit venir la troupe théâtrale Thanh Binh qui jouait la pièce Feng Le Hue, assassin du frère et du père ” extraite de L’expédition à l’ouest de Chiao Ting Quai. La troupe jouait très bien, surtout le rôle de Feng Le Hue. Mais la reine avait l’air triste et contrariée. Le peuple vietnamien n’acceptait pas, dit-elle, ces histoires de meurtres entre les membres d’une famille, pourquoi Feng Le Hue agissait-elle de la sorte. Le théâtre devrait, outre sa fonction de distraction, éduquer les spectateurs d'après la morale nationale. À ces reproches, le roi Tu Duc reconnut sa faute et se hâta de récupérer toutes les pièces en circulation pour les modifier.

La vie des reines grands-mères et reines –mères, à l’exception de certaines, passait dans la tranquillité auprès de leur descendance jusqu’ à la fin de leurs jours. Elles ne firent leur apparition qu’aux jours de fête.

On pensait souvent par erreur que c’ était un bonheur d’ être épouse d’un roi. Ce n’ était pas vrai que les épouses du roi, surtout la première, ne pensaient qu’ à s’amuser parce qu’elles avaient sous la main tant des servantes. Au contraire, leur vie était pleine d’inquiétudes. La première épouse, à la tête du harem royal, était entourée des ennemis. Son moindre geste était observé, une seule faute légère conduisait à la révocation. Les concubines adorées du roi cherchaient l’occasion pour dire du mal d’elle et la défavoriser. Il y avait pas mal de choses à faire, à chacun son travail, mais elle devait avoir l’œil sur tout. Elle était prête à faire face à tout incident, ce qui affectait son moral. Au point de vue matériel, elle jouissait des privilèges, on subvenait à tous ses besoins, mais elle n’était pas libre. Se levant tôt, se couchant tard, elle travaillait sans repos du matin au soir, pareille à un premier ministre. Et elle devait ménager ses expressions, de peur d’une révocation. Heureusement il n’y avait pas de cachot du palais sous la dynastie des Nguyen, sinon on ne savait pas ce qui pourrait arriver.

Les livres d’histoire de la dynastie des Nguyen racontaient encore le cas de la reine Le Thien, épouse du roi Tu Duc, qui était investie Cung Tan, puis Can Phi, Thuan Phi, Trung Phi pour atteindre au rang le plus élevé de Hoang Qui Phi en 1870, après une vingtaine d’années de service. Or, en 1882, par une faute minime ( elle servit tard le dîner au roi malade ) elle était révoqueée au rang de Trung Phi et ne pouvait plus diriger le harem. Voila le sort de la première épouse, on pourrait comprendre facilement celui des autres femmes, concubines et servantes. Elles ne pouvaient pas mener une vie ordinaire. En vue de l’estime du roi et d’une promotion, elles devaient lutter continuellement, se servir même des manœuvres quelquefois, et les scènes de jalousie, de dispute, d’outrage étaient fréquentes dans la cour. Entourées dans les quatre murs d’année en année, en contact permanent avec des personnes envieuses du même sexe, elles devaient réprimer leurs sentiments et ne laissaient pas voir leur vrai visage. On pouvait imaginer cette existence en lisant le passage suivant, extrait du Souvenir de Hué où l’auteur Michel Duc Chaigneau décrivit une scène de jalousie dans le palais royal, exprimée par le roi Gia Long avec un peu d’exagération : “Que Votre Majesté porte un jugement ! Que Votre Majesté porte un jugement ! Elle m’insulte, elle m’engueule !, elles me tirent, elles me poussent avec des explications et des implorations assourdissantes…”

Tant d’ épouses et de concubines pour un seul monarque ! Certaines d’entre elles, depuis leur premier pas au palais jusqu’ à la fin de leurs jours, ne connaissaient jamais le lit conjugal, ni même un seul moment à côté du roi. Les activités nocturnes du roi étaient bien réglées par les eunuques que les femmes cherchaient à stipendier pour obtenir la faveur du roi. La vie triste et monotone dans la cour rendait les femmes facilement sujettes aux maladies, surtout à la dépression mentale, dont le traitement s’avérait peu efficace. En cas de maladie, elles étaient placées sur un lit caché par un rideau, sortant une main dont le poignet était enveloppé d’un mouchoir de soie. Ne pouvant ni toucher, ni regarder les malades, ni leur parler, le médecin royal leur tâta le pouls au poignet puis prescrivit des médicaments. Alors, si compétent fût-il, il n’arrivait pas à guérir les malades : comment pouvait-on diagnostiquer exactement par le seul procédé de tâter le pouls ? C’est pourquoi, aucune de ces femmes pouvaient vivre longtemps.

On observait une stricte discipline dans la cour et ne prêtait pas attention à la vie sentimentale, les distractions manquaient sauf quelques représentations théâtrales, concerts, promenades … N’ayant rien à faire, elles s’acoquinaient, se disputaient et les scènes de jalousie et même de brouille étaient fréquentes dans les palais. On ne pouvait pas imaginer ce monde exclusivement féminin au sein de la cour et le roi Gia Long n’hésita pas à les appeler “démons”. À la tombée de la nuit, la vie dans les palais devenait plus agitée pour ces femmes qui n’étaient pas libres pendant toute la journée. Dans une atmosphère plus animée, elles devenaient plus actives, telles des chauves-souris en quête de nourriture. C’était à ce moment que se déroulaient des histoires scandaleuses, avec la connivence des eunuques, qui faisaient penser aux légendes de “ changement de seigneur“ de la dynastie chinoise des Sung.

Les femmes de la cour, du rang le plus élevé au plus bas, menaient ainsi une vie monotone et ennuyeuse, dans un espace restreint, écarté du monde extérieur jusqu’à la mort. À l’exception de quelques-unes d’une haute position, elles ressemblaient à des prisonnières enfermées dans une grande prison d’où elles ne pouvaient être relâchées pour revenir à la vie extérieure qu’en cas de catastrophes ou d’événements. Certaines allaient aux mausolées s’occuper du culte des rois défunts, heureusement elles n’étaient pas enterrées vivantes aux funérailles des rois comme la coutume de quelques dynasties féodales dans le monde.



THÂN TRỌNG SƠN
Traduit du vietnamien
Texte original :
Truyện kể về các vương phi hoàng hậu nhà Nguyễn - THI LONG

Aucun commentaire: