LE ROI DUY TAN
( 1907 – 1916 )
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Après son détrônement, le roi Thanh Thai fut conduit à Vung Tau ( Cap Saint-Jacques ). Le Conseil de Régence et le Résident Supérieur discutaient pour trouver un successeur.
Du côté français, le Résident Levecque voulait introniser quelqu’un de très jeune pour lui épargner tout ennui comme le cas du roi Thanh Thai. Pour le faire, il proposa au Conseil de Régence de lui passer une liste des princes et les présenter en personne pour qu’on puisse choisir. Les princes, vêtus correctement, étaient donc conduits devant les membres du Conseil de Régence. Un mandarin prononça le nom d’un prince, un autre le conduisit devant le Conseil. Quand on lut le nom du prince Vinh San, on découvrit qu’il n’était pas là. Soupçonnant quelque chose de louche, le Résident exigea qu’on amenât le prince, sinon il fallait ajourner la sélection. Alors tous les membres du harem royal s’empressaient de chercher le prince. Celui-ci, âgé alors de 8 ans, prit peur de la nouvelle du choix d’un successeur au trône. Il se cachait sous un lit. Quand un garde de corps le découvrit et le sortit du lit, ses vêtements étaient salis de poussière et de toiles d’araignée; son visage barbouillé comme celui d’un petit mendiant. De peur d’être grondé, le soldat introduit le prince Vinh San devant les mandarins sans le laisser le temps de se laver ni de se changer. L’enfant semblait alors vraiment crétin. Le voyant encore petit, crétin, timide, le Résident se montrait content car il pourrait le contrôler facilement. Et voilà le prince Vinh San choisi parmi les dix princes présents ce jour-là.
Plus tard, après son avènement, quelqu’un lui demanda pourquoi il se cachait sous le lit, s’il avait peur des Français. Le roi Duy Tan répondit en riant :
“ Je me dissimule sous le lit non de peur des Français mais pour trouver un grillon que je viens de laisser échapper.”
Le courtisan ne fit qu’éclater de rire, déconcerté. Le roi rit aussi.
Après avoir choisi un jour faste, le Conseil des Régence informa le Résident Supérieur pour fixer la date de la cérémonie d’avènement.
Le 28 juillet 1907 ( l’année de la Chèvre ), avec la représentation de Levecque, la cour célébra la cérémonie d’avènement du prince Vinh San avec le nom de règne de Duy Tan au Palais de la Suprême Harmonie. On raconte que ce jour-là, le roi Duy Tan avait l’air d’une “ grande personne”. L’image d’un jeune monarque était tout à fait différente de celle d’un petit enfant pâle, tremblant de peur de l’autre jour , si bien que le Résident Supérieur Levecque et la délégation française étaient tout étonnés. Assis sur le trône, à la vue du Résident Supérieur et de la délégation française, le roi descendit à leur rencontre. Dans la conversation, le roi parlait avec éloquence malgré ses 8 ans, ce qui témoignait son intelligence. Le Résident Supérieur devait se taire sans pouvoir répondre à certaines de ses questions. Le roi lui posait aussi des colles et le résident se montrait bien confus, regrettant d’avoir mal choisi le successeur.
L’ESPIÈGLERIE DU ROI DUY TAN
En 1912, une exposition fut organisée à Paris, toutes les colonies devaient y exposer des marchandises. Voulant présenter à ses habitants les pays “ civilisés” par la France, le gouvernement français ordonna aux gouverneurs d’envoyer à Paris une statue ou un portrait du souverain de ces pays. Cet ordre fut notifié par le gouverneur de l’Indochine au résident supérieur de Trung Ky à Hué, lui demandant “ d’envoyer à tout prix à Saigon une statue de Duy Tan, l’Empereur du Vietnam, pour qu’on l’envoie à temps en France”. Le résident supérieur se hâta d’aller voir le Conseil de Régence leur proposant de modeler une statue du roi Duy Tan. À Hué il y avait à cette époque un artiste qui excellait en sculpture et en modelage de statues, M. Ton That Sa. Ton That Sa fut convoqué par le Conseil de Régence et le résident supérieur lui confia le travail. Et voilà l’artiste entrait au palais jour après jour pour modeler une statue dont le modèle était le roi lui-même. Le roi n’était pas content d’être obligé de s’asseoir sur le trône, vêtu de costumes des grandes audiences, dans le rôle d’un modèle dont l’artiste représenta l’image. Dans la première semaine, il y avait toujours à côté du roi le professeur Eberhart pour l’encourager à bien faire le travail. ( Professeur Eberhart, un Français d’origine allemande, apprenait au roi les sciences et le français, tandis que M. Mai Khac Don lui enseignait les caractères chinois, la littérature et l’histoire vietnamiennes et chinoises.) Pour les premières scéances, le roi Duy Tan se rendit à l’heure fixée au Palais Duong Tam et se mit sur le trône sans dire aucun mot, peut - être par respect envers son professeur ou par peur. Professeur Eberhart aimait et respectait le roi, il se tranquillisait bien devant son attitude. Les semaines suivantes, le professeur ne suivait plus le roi. Et alors le roi commença à faire montre de son talent ! Il quitta le trône, se tenait debout à côté de M. Ton That Sa, le regardant modeler, lui posant des questions sur sa situation de famille et son état de santé. Peu à peu, un vieux et un jeune, tous les deux s’entendaient très bien. Bien des fois, le roi permettait à M. Ton That Sa de se promener librement dans le palais, de ne pas s’attacher trop aux manières de parler avec le roi. Parfois il faisait servir à l’artiste des gourmandises ou du thé au cours de son travail.
Le modelage finit, la statue ressemblait bien au roi, mais, chose étrange, elle avait la bouche enflée, laissant voir les dents comme si elle voulait se moquer de quelqu’un. M. Ton That Sa prit peur sans comprendre pourquoi le visage très sérieux du roi qu’il avait fait la veille pouvait changer de telle façon. Il regarda autour de lui, puis regarda le roi, voulut lui poser une question mais il ne l’osa pas. Pendant ce temps, le roi se taisait toujours. Il monta sur le trône comme modèle, laissant l’artiste corriger son œuvre attentivement. Et tout se passait comme hier, aujourd’hui il vint continuer quelques traits et découvrit que la statue avait encore la bouche enflée, montrant ses dents de façon railleuse. M. Sa se montrait très fâché, il cherchait à prendre sur le fait celui qui avait osé “ offenser un supérieur” ainsi.
Le jour suivant, il demanda au roi de rentrer plus tôt. Après avoir modifié le visage de la statue, il prit le déjeuner puis alla au palais Duong Tam sans faire la sieste habituelle avec l’intention de surprendre à l’improviste celui qui l’avait embêté. À l’entrée du palais, il faillit crier devant un spectacle drôle et bizarre. Le roi Duy Tan tenait dans sa main gauche un miroir, sa main droite tripota le visage peu séché du visage. Il avait la bouche enflée montrant des dents blanches. Il se regarda dans le miroir en essayant de modeler la bouche de la statue telle qu’il voyait dans le miroir.
Entendant le bruit, le roi dit à M. Sa en riant niaisement :
“ Je veux que ma statue se moque de toute la France lors de la prochaine exposition.”
M. Sa répondit s’agenouilla et lui dit :
“ Votre Majesté comprend-Elle que si Elle agit de la sorte, le résident supérieur me coupera la tête.”
Et le roi de répliquer :
“ Ça alors ? Je n’y ai pas pensé, excusez-moi.” Puis il se mit sur le trône silencieusement pour que l’artiste modifiât la statue. Il offrit ce jour-là à M. Sa un cadeau pour racheter sa faute d’être trop espiègle. La statue achevée était très belle, elle ressemblait bien au roi Duy Tan. À partir de ce jour, M. Sa venait souvent au palais royal faire le portrait du roi. Et, une fois un portrait fini, le roi lui offrit délicatement une grosse somme d’argent. (1)
LES ANECDOTES DU ROI DUY TAN
À L’ESTUAIRE TUNG
Après son avènement, le roi Duy Tan se montrait souvent triste pour avoir trop pensé à son père exilé au Cap Saint-Jacques, d’ailleurs, il était mécontent de l’arrogance des officiels français. Remarquant cela, le Conseil de Régence alla délibérer avec le résident supérieur. Enfin on a décidé de l’introduire hors de la citadelle pendant un certain temps avec l’espoir de le distraire et de le faire oublier le passé – il était encore jeune et susceptible d’être convaincu. Alors les Français firent construire à l’estuaire Tung ( province de Quang Binh ) une maison et le roi y fut amené en villégiature pour “ se distraire”.
Mais, même éloignée de la capitale, l’image de son père, le roi Thanh Thai, obsédait toujours le “petit” monarque. Il savait que son père était interné à Vung Tau parce qu’il avait des idées et des actions contre les Français. De nature intelligente, mûri avant l’âge par la situation, il n’oubliait pas ses reponsabilités même devant ce beau paysage de la mer immense et du ciel élevé. Un jour, après s’être baigné dans la mer, il alla s’asseoir comme d’habitude sur la plage à côté d’un garde de corps. Il s’amusait en construisant des châteaux avec du sable. Puis il se leva. Voyant ses mains salies de sable, le garde de corps apporta un bassin d’eau. Le roi regarda ses mains puis regarda le garde en demandant :
“ On se lave les mains sales avec de l’eau. Alors si l’eau est sale avec quoi peut-on se laver ?”
L’interlocuteur regarda le roi avec peur, il bafouilla sans pouvoir répondre. Devant cette attitude embarrassante, le roi dit :
“ Si l’eau est sale, on se lave avec du sang, vous comprenez ? ”
Le vieux garde de corps pâlit de peur, il regarda autour de lui pour voir s’il y avait quelqu’un, tandis que le roi Duy Tan se plongeait dans la méditation.
Une autre fois, le ministre Nguyen Huu Bai alla lui rendre visite pour voir comment il vivait et s’il pouvait s’adapter à la situation. Le roi n’étant pas à la maison, il alla à la plage. Il s’aperçut de loin un homme assis, les deux mains appuyées au menton, les yeux tournant vers la mer de l’Est. Le vieux garde de corps se tenait debout à côté , les bras croisés. Le ministre Nguyen Huu Bai vint saluer le roi qui gardait une mine triste. Après s’être enquéri de la santé du roi, il lui fit part de la situation de la cour et des reines des Deux-Palais, et proposa au roi de faire une partie de pêche. Le roi était d’accord. Et voilà le roi et le ministre en barque vers l’estuaire Tung. Après un trajet pas trop long, le roi demanda à s’arrêter pour faire la pêche. À peine lança-t-il la canne que l’hameçon était retenu par quelque chose. Le roi essaya de le dégager en suivant la ligne. Après avoir repris l’hameçon, en s’inspirant sur la situation d’avoir l’hameçon retenu, il improvisa une paire de sentences parallèles, avec l’intention de sonder les sentiments du ministre :
Assis sur l’eau, on ne peut pas entraver le courant
La canne lancée, il faut continuer l’affaire inachevée.
Les sentences parallèles avaient un double sens. Le roi faisait allusion à cette partie de pêche : il était assis sur une barque, et son hameçon était retenu, il fallait le dégager. Mais l’autre interprétation était plus profonde : en tant que souverain, il ne pouvait pas empêcher l’invasion des Français. Avec la responsabilité devant la patrie qu’il avait assumée, il lui fallait tout faire pour le salut national.
Après avoir entendu ces deux phrases, le ministre Nguyen Huu Bai admirait bien le roi pour sa volonté de défendre la patrie. Mais le roi était encore petit, ses forces insuffisantes, il pourrait affronter des dangers comme le cas de son père. Le ministre chercha à conseiller au roi qu’il fallait laisser de côté des projets dangereux car ce n’était pas encore le temps d’agir. Alors il répliqua par ces sentences parallèles :
Vivre en vie, quel dégoût pour la vie
Laissez passer les choses en fermant les yeux.
Le roi désespérait beaucoup d’entendre ces phrases. Il dit au ministre de rentrer. Il n’avait désormais confiance en personne à la cour.Dans ses yeux, les mandarins de la cour ne cherchaient que gloire pour eux-mêmes et richesses pour leur famille, ils se contentaient de vivre en paix au jour le jour.(2)
LE SOIR,
DEVANT L’EMBARCADÈRE VAN LAU
QUI VIENT S’ASSEOIR, FAISANT LA PÊCHE,
LE CŒUR BIEN LOURD, L’ÂME EN DÉTRESSE.
Ces vers d’une chanson populaire de Ung Binh Thuc Da Thi largement connus à Hué auparavant avaient-ils des relations avec l’insurrection du roi Duy Tan en 1916 ?
Un jour du mois de mai 1916, selon le projet prévu, Tran Cao Van alla pêcher près du Pavillon Nghinh Luong sur une petite barque en bambou tressé en attendant le roi Duy Tan. Mais le secret révélé, il fut arrêté. Et peut-être pour marquer cet événement plein de sang et de larmes, le poète Ung Binh a fait les vers précités qui deviendraient bien connus dans tout le pays.
Sachant que Duy Tan était un roi progressiste, imbu d’un patriotisme fervent et des tendances anti-françaises comme le roi Thanh Thai, la Viet Nam Quang Phuc Hoi ( Association pour la Restauration du Viet-Nam ) décida de le contacter. Cherchant à connaître les fréquentations du roi, les dirigeants de l’Association pour la Restauration du Viet-Nam- Thai Phien et Tran Cao Van - se mirent à élaborer un projet. D’abord, sachant que le roi sortait souvent en voiture et que son chauffeur était déjà assez âgé, les dirigeants de l’Association essayèrent de convaincre celui-ci en lui donnant une grosse somme d’argent pour qu’il demandât son congé. Tout se passait comme prévu, le chauffeur était d’accord pour quitter son emploi après avoir présenté au roi un remplaçant, Phan Huu Khanh, qui était un partisan de l’Association. À partir de ce jour, il y avait toujours à côté du roi un membre de l’Association . Toutes les activités du roi et de la cour étaient rapportées par Khanh, par contre, l’Association avait la bonne condition de contacter le roi.
En été de l’année 1915, le roi alla en villégiature à l’estuaire Tung, accompagné de Phan Huu Khanh. À leur arrivée, Khanh présenta en secret au roi une lettre de l’Association pour la Restauration du Viet Nam. Un paragraphe de la lettre se lisait :
“ … Le Ciel vous a fait intelligent et honnête, déterminé à lutter contre les Français. De la terre est né l’homme de talent ayant le droit de chasser l’ennemi par l’amour du peuple ! Le roi père Thanh Thai – pourquoi était-il déporté ? La tombe du roi Duc Ton ( ou Tu Duc ) – pourquoi était-elle creusée?”
La lettre présenta aussi au roi les misères du peuple depuis l’occupation des Français. Après la lecture, le roi se montrait très ému, il demanda à Khanh de le faire voir le leader de l’Association.
Khanh fit des prosternations en s’agenouillant et promit d’arranger une entrevue. Le roi le redressa en disant :
“ J’aurais dû vous remercier, pourquoi agissez-vous de la sorte, si vous m’aimez, aidez-moi !”
Phan Huu Khanh informa Thai Phien de l’intention du roi. Et l’Association organisa une entrevue avec le roi au lac Tinh Tam.
Au jour du rendez-vous, le roi Duy Tan, vêtu de simples habits, une canne à pêche à la main, sortit de la porte Hoa Binh en direction du lac Tinh Tam. Il y rencontra les deux dirigeants de l’Association de la Restauration du Viet Nam, MM. Thai Phien et Tran Cao Van, déguisés eux- aussi en pêcheurs. L’entrevue durait assez longtemps. Le roi Duy Tan était d’accord avec le projet proposé par les deux dirigeants, il les pressa d’agir tout de suite car c’était la meilleure occasion ( la Première Guerre Mondiale arrivant au phase décisif, la France était occupée de faire face à l’Allemagne et l’Italie et ne faisait pas attention aux colonies… ). Après la rencontre, le roi rentra au palais royal, les deux dirigeants se hâtèrent d’aller à Quang Nam consolider les forces, élaborer le plan de l’insurrection.
D’après le projet entendu, l’insurrection aurait lieu le 23 mai 1916, mais le roi voulait une date antérieure sinon un grand nombre de soldats – dont nos partisans – s’embarqueraient pour la France. Le roi proposa une date fixée deux semaines plus tôt, soit la nuit du 3 au matin du 4 mai 1916.
Cette nuit-là, le roi Duy Tan se rendit mystérieusement au Pavillon Phu Van Lau, pieds nus, vêtu d’une veste courte rouge foncé, d’un turban noir et d’un pantalon blanc. Une barque l’attendait pour le transporter en remontant le long de la rivière en direction de Bach Ho pour arriver enfin à la rivière Loi Nong ( An Cuu ). La barque aborda, un membre de l’Association vint emmener le roi à une maison au bord de la rivière. C’était la demeure de Nguyen Van Tru, celui qui était désigné par Tran Cao Van pour commander des troupes dans l’attaque du Bastion Tran Binh. À la vue de Tru, le roi l’encouragea, celui-ci dit oui pour la forme, jurant de remplir la mission. Or il avait trahi ses serments : sur le chemin au poste Mang Ca, il a accouru au Bureau du Résident supérieur pour tout annoncer au résident. C’était 1 heure du matin le 4 mai. Le résident supérieur Charles commanda un groupe de soldats à la patrouille. Ne trouvant pas le roi Duy Tan dans le palais, il croyait que Tru avait dit la vérité, que l’insurrection avait commencé. Il décréta par téléphone le couvre-feu et fit désarmer tous les soldats qui allaient partir pour la France et qui étaient réunis au poste Mang Ca. Sachant que quelqu’un a trahi, le roi Duy Tan prit la barque en longeant la rivière Loi Nong pour arriver à Ha Trung. Le jour suivant, de peur d’être découverts, tous retournèrent vers la région montagneuse du sud-ouest de la province de Thua Thien pour s’abriter dans une maison au pied de la montagne Thien Thai, dans le quartier Ngu Tay, village de An Cuu. Le chef de ce quartier était aussi un traître, il courut annoncer aux Français l’abri actuel du roi. Et voilà Le Folt et l’agent de sûreté Sogny conduisirent des soldats à l’arrestation du roi.
Le roi Duy Tan et sa suite furent conduits à la citadelle et internés au poste Mang Ca. Thai Phien, Tran Cao Van et un grand nombre des membres de l’Association pour la Restauration du Vietnam étaient tous arrêtés . Sogny reçut l’ordre d’étouffer cette insurrection dans une mer de sang.
D’après ce que l’on raconte, à la pagode Thien Ton, après être arrêté, le roi Duy Tan restait toujours très calme. Il soupira de temps en temps sans mot dire. Le chef de cabinet du Bureau du résident supérieur le salua d’un air poli faussé en disant ironiquement :
- Eh bien, Sire ! Vous avez fini cette randonnée ?
- Vous ne pouvez pas comprendre ! , répondit le roi en haussant les épaules .
Juste à ce moment, Tru entra, fit des prosternations et dit :
- Je suis celui qui avait obtenu une audience avec Votre Majesté hier soir au bord de la rivière Loi Nong, Votre Majesté me reconnaît-Elle ?
Le roi le regarda avec des yeux méprisants en répondant :
- Oui, je te reconnais bien. Traître !
Tru se retira, honteux. Voyant quelque chose à hauteur d’appui du roi, l’agent de sûreté Sogny croyait que c’était un revolver et le regardait fixement. Comprenant la situation, le roi lui dit :
- Vous croyez que c’est un revolver ? Pas du tout. Si j’ai un revolver, je vous ai tués avec. Ce n’est qu’un morceau d’aliment séché !
Puis, il releva sa veste, tira une pochette rouge : deux sceaux d’or là-dedans !
Vers midi, ils introduisirent le roi au Bureau du Résident Supérieur. Le Résident Charles lui serra la main en riant et lui dit d’un ton railleur :
- Eh bien, Sire ! Vous êtes content de votre équipée ?
- Non, puisqu’elle n’a pas réussi, répondit le roi calmement.
Il était difficile de dompter la volonté de ce jeune roi. Ils l’internèrent à Mang Ca puis le livrèrent à la cour de Hué pour le juger. À ce moment, Le Marchant de Trignon remplaça Charles comme résident supérieur de Trung Ky. De Trignon exigea que la cour de Hué convainquît le roi du renoncement à ses opinions anti-françaises. Il serait gracié par le gouvernement français en cas de résipiscence.
Les persuasions s’avéraient inutiles. Trouvant ses efforts vains, le résident de Trignon téléphona au gouverneur de Hanoï pour que celui-ci résolût le problème.
À Hué, le gouverneur général de l’Indochine chercha à embaucher le roi mais il répondit tout le temps qu’il retournerait au trône à condition que “ la France mît en exécution les clauses du Traité 1884 ( Patenôtre ) : la France jouait le rôle de tutelle et non de protectorat ; il fallait le reconnaître comme un roi majeur ; il fallait dissoudre le Conseil de Régence ; la France ne pourrait rien faire au nom du roi.”
Le gouverneur de l’Indochine n’était pas en mesure de satisfaire à ces conditions, et, avec l’approbation du gouvernement français , il déporta le roi à l’île Réunion où avait été déporté le roi Thanh Thai.
À Hué, les révolutionnaires tels que Thai Phien, Tran Cao Van étaient condamnés à décapitation.
LES JOURS D’EXIL
A la fin de la Première Guerre Mondiale, la France commença à consolider ses forces dans les colonies. Le mouvement anti-français se répandait de plus en plus de l’Asie à l’Afrique. Trouvant que l’emprisonnement du roi Thanh Thai et de son fils, roi Duy Tan, à Cap Saint-Jacques n’était pas profitable ( car la présence de ces deux rois pourrait animer les activités du mouvement anti-français ), le gouvernement français ordonna au gouverneur de l’Indochine de les déporter en Afrique. En 1919, les deux rois furent conduits en bateau à l’île Réunion. Au début ils les internèrent séparément dans les deux îles avant de les laisser ensemble à Saint-Denis. Le roi Duy Tan y vivait avec sa femme Mai Thi Vang, fille de son ancien professeur. Les deux époux passaient des jours d’exil misérables. Comme elle n’était pas habituée aux conditions climatériques, Mme Vang était souvent malade. Elle n’avait pas encore d’enfant avec le roi Duy Tan. En 1921, trouvant qu’elle ne pouvait pas supporter le climat de l’île, le roi Duy Tan la laissa rentrer. Au Vietnam, elle continuait seule sa vie sans se remarier et mourut en l’année du Singe à Kim Long, Hué. Quant au roi Duy Tan, la vie solitaire à l’île l’obligea à tout faire. Outre les activités quotidiennes, il apprenait la musique, l’épée et surtout, il se perfectionnait en langues étrangères. Il fréquentait les indigènes qui les estimaient bien. En 1927, sur les conseils de son père, le roi Duy Tan se maria avec Fernante Antier, une jeune fille française, après, il se maria encore avec Marx Ernestine.
La Seconde Guerre Mondiale éclata. L’Allemagne attaqua la France et occupa Paris. De Gaulle se rendit en Angleterre organiser la résistance. A Saint Denis, le roi Duy Tan participa au mouvement de résistance du général de Gaulle. En 1945, avec son unité il fut muté en France avec le grade d’aspirant. En septembre 1945, il fut nommé, par une décision signée par le général de Gaulle lui-même, chef de bataillon d’une unité française avec le grade de commandant. D’après les documents récemment découverts, le général de Gaulle lui avait promis de le ramener au Vietnam pour des affaires politiques. En France, il rencontrait assez fréquemment le général de Gaulle pour lui formuler ses vœux. Au mois de décembre de cette année ( 1945 ), il obtint un congé pour rentrer à Saint Denis revoir son père et sa famille. Dans le vol de Paris à Saint Denis, son avion brûla et tomba sur le territoire de la République de Bangui, en Afrique. La mort du roi Duy Tan restait un procès douteux jusqu’à présent. D’après quelques documents, devant les demandes du roi Duy Tan, le gouvernement français a poussé le général de Gaulle à supprimer cet homme “ trop dangereux pour le protectorat de la France en Annam”. C’est pourquoi, le ministère de l’Intérieur français a arrangé le congé accordé au roi pour le tuer ensuite par un accident d’avion.
Après l’accident au Bangui, son corps était enterré dans un cimetière catholique, le cimetière M’Baiki. Le roi Thanh Thai et toute la famille étaient tout ébahis à la nouvelle de l’accident mortel de Duy Tan.
En 1985, les ossements du roi Duy Tan furent transportés au Vietnam et enterrés à côté de la tombe de son père à An Lang ( Hué ). La cérémonie d’enterrement était organisée solennellement par les autorités de Hué. Ainsi, après la séparation du pays natal en 66 ans, le roi patriote a pu rentrer à la patrie dans le regret du peuple.
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(1) D’après Hoang Trong Thuoc et Ton That Sa.
2) D’après Thai Van Kiem, in Dat Viet troi Nam, édition Nguon song, 1960.
Traduit du vietnamien.
NHÀ NGUYỄN – chín chúa mười ba vua – THI LONG
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