mardi 23 juin 2009

LE ROI DUY TAN






LE ROI DUY TAN

( 1907 – 1916 )

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Après son détrônement, le roi Thanh Thai fut conduit à Vung Tau ( Cap Saint-Jacques ). Le Conseil de Régence et le Résident Supérieur discutaient pour trouver un successeur.


Du côté français, le Résident Levecque voulait introniser quelqu’un de très jeune pour lui épargner tout ennui comme le cas du roi Thanh Thai. Pour le faire, il proposa au Conseil de Régence de lui passer une liste des princes et les présenter en personne pour qu’on puisse choisir. Les princes, vêtus correctement, étaient donc conduits devant les membres du Conseil de Régence. Un mandarin prononça le nom d’un prince, un autre le conduisit devant le Conseil. Quand on lut le nom du prince Vinh San, on découvrit qu’il n’était pas là. Soupçonnant quelque chose de louche, le Résident exigea qu’on amenât le prince, sinon il fallait ajourner la sélection. Alors tous les membres du harem royal s’empressaient de chercher le prince. Celui-ci, âgé alors de 8 ans, prit peur de la nouvelle du choix d’un successeur au trône. Il se cachait sous un lit. Quand un garde de corps le découvrit et le sortit du lit, ses vêtements étaient salis de poussière et de toiles d’araignée; son visage barbouillé comme celui d’un petit mendiant. De peur d’être grondé, le soldat introduit le prince Vinh San devant les mandarins sans le laisser le temps de se laver ni de se changer. L’enfant semblait alors vraiment crétin. Le voyant encore petit, crétin, timide, le Résident se montrait content car il pourrait le contrôler facilement. Et voilà le prince Vinh San choisi parmi les dix princes présents ce jour-là.


Plus tard, après son avènement, quelqu’un lui demanda pourquoi il se cachait sous le lit, s’il avait peur des Français. Le roi Duy Tan répondit en riant :

“ Je me dissimule sous le lit non de peur des Français mais pour trouver un grillon que je viens de laisser échapper.”

Le courtisan ne fit qu’éclater de rire, déconcerté. Le roi rit aussi.


Après avoir choisi un jour faste, le Conseil des Régence informa le Résident Supérieur pour fixer la date de la cérémonie d’avènement.

Le 28 juillet 1907 ( l’année de la Chèvre ), avec la représentation de Levecque, la cour célébra la cérémonie d’avènement du prince Vinh San avec le nom de règne de Duy Tan au Palais de la Suprême Harmonie. On raconte que ce jour-là, le roi Duy Tan avait l’air d’une “ grande personne”. L’image d’un jeune monarque était tout à fait différente de celle d’un petit enfant pâle, tremblant de peur de l’autre jour , si bien que le Résident Supérieur Levecque et la délégation française étaient tout étonnés. Assis sur le trône, à la vue du Résident Supérieur et de la délégation française, le roi descendit à leur rencontre. Dans la conversation, le roi parlait avec éloquence malgré ses 8 ans, ce qui témoignait son intelligence. Le Résident Supérieur devait se taire sans pouvoir répondre à certaines de ses questions. Le roi lui posait aussi des colles et le résident se montrait bien confus, regrettant d’avoir mal choisi le successeur.


L’ESPIÈGLERIE DU ROI DUY TAN


En 1912, une exposition fut organisée à Paris, toutes les colonies devaient y exposer des marchandises. Voulant présenter à ses habitants les pays “ civilisés” par la France, le gouvernement français ordonna aux gouverneurs d’envoyer à Paris une statue ou un portrait du souverain de ces pays. Cet ordre fut notifié par le gouverneur de l’Indochine au résident supérieur de Trung Ky à Hué, lui demandant “ d’envoyer à tout prix à Saigon une statue de Duy Tan, l’Empereur du Vietnam, pour qu’on l’envoie à temps en France”. Le résident supérieur se hâta d’aller voir le Conseil de Régence leur proposant de modeler une statue du roi Duy Tan. À Hué il y avait à cette époque un artiste qui excellait en sculpture et en modelage de statues, M. Ton That Sa. Ton That Sa fut convoqué par le Conseil de Régence et le résident supérieur lui confia le travail. Et voilà l’artiste entrait au palais jour après jour pour modeler une statue dont le modèle était le roi lui-même. Le roi n’était pas content d’être obligé de s’asseoir sur le trône, vêtu de costumes des grandes audiences, dans le rôle d’un modèle dont l’artiste représenta l’image. Dans la première semaine, il y avait toujours à côté du roi le professeur Eberhart pour l’encourager à bien faire le travail. ( Professeur Eberhart, un Français d’origine allemande, apprenait au roi les sciences et le français, tandis que M. Mai Khac Don lui enseignait les caractères chinois, la littérature et l’histoire vietnamiennes et chinoises.) Pour les premières scéances, le roi Duy Tan se rendit à l’heure fixée au Palais Duong Tam et se mit sur le trône sans dire aucun mot, peut - être par respect envers son professeur ou par peur. Professeur Eberhart aimait et respectait le roi, il se tranquillisait bien devant son attitude. Les semaines suivantes, le professeur ne suivait plus le roi. Et alors le roi commença à faire montre de son talent ! Il quitta le trône, se tenait debout à côté de M. Ton That Sa, le regardant modeler, lui posant des questions sur sa situation de famille et son état de santé. Peu à peu, un vieux et un jeune, tous les deux s’entendaient très bien. Bien des fois, le roi permettait à M. Ton That Sa de se promener librement dans le palais, de ne pas s’attacher trop aux manières de parler avec le roi. Parfois il faisait servir à l’artiste des gourmandises ou du thé au cours de son travail.


Le modelage finit, la statue ressemblait bien au roi, mais, chose étrange, elle avait la bouche enflée, laissant voir les dents comme si elle voulait se moquer de quelqu’un. M. Ton That Sa prit peur sans comprendre pourquoi le visage très sérieux du roi qu’il avait fait la veille pouvait changer de telle façon. Il regarda autour de lui, puis regarda le roi, voulut lui poser une question mais il ne l’osa pas. Pendant ce temps, le roi se taisait toujours. Il monta sur le trône comme modèle, laissant l’artiste corriger son œuvre attentivement. Et tout se passait comme hier, aujourd’hui il vint continuer quelques traits et découvrit que la statue avait encore la bouche enflée, montrant ses dents de façon railleuse. M. Sa se montrait très fâché, il cherchait à prendre sur le fait celui qui avait osé “ offenser un supérieur” ainsi.


Le jour suivant, il demanda au roi de rentrer plus tôt. Après avoir modifié le visage de la statue, il prit le déjeuner puis alla au palais Duong Tam sans faire la sieste habituelle avec l’intention de surprendre à l’improviste celui qui l’avait embêté. À l’entrée du palais, il faillit crier devant un spectacle drôle et bizarre. Le roi Duy Tan tenait dans sa main gauche un miroir, sa main droite tripota le visage peu séché du visage. Il avait la bouche enflée montrant des dents blanches. Il se regarda dans le miroir en essayant de modeler la bouche de la statue telle qu’il voyait dans le miroir.

Entendant le bruit, le roi dit à M. Sa en riant niaisement :

“ Je veux que ma statue se moque de toute la France lors de la prochaine exposition.”

M. Sa répondit s’agenouilla et lui dit :

“ Votre Majesté comprend-Elle que si Elle agit de la sorte, le résident supérieur me coupera la tête.”

Et le roi de répliquer :

“ Ça alors ? Je n’y ai pas pensé, excusez-moi.” Puis il se mit sur le trône silencieusement pour que l’artiste modifiât la statue. Il offrit ce jour-là à M. Sa un cadeau pour racheter sa faute d’être trop espiègle. La statue achevée était très belle, elle ressemblait bien au roi Duy Tan. À partir de ce jour, M. Sa venait souvent au palais royal faire le portrait du roi. Et, une fois un portrait fini, le roi lui offrit délicatement une grosse somme d’argent. (1)


LES ANECDOTES DU ROI DUY TAN

À L’ESTUAIRE TUNG


Après son avènement, le roi Duy Tan se montrait souvent triste pour avoir trop pensé à son père exilé au Cap Saint-Jacques, d’ailleurs, il était mécontent de l’arrogance des officiels français. Remarquant cela, le Conseil de Régence alla délibérer avec le résident supérieur. Enfin on a décidé de l’introduire hors de la citadelle pendant un certain temps avec l’espoir de le distraire et de le faire oublier le passé – il était encore jeune et susceptible d’être convaincu. Alors les Français firent construire à l’estuaire Tung ( province de Quang Binh ) une maison et le roi y fut amené en villégiature pour “ se distraire”.

Mais, même éloignée de la capitale, l’image de son père, le roi Thanh Thai, obsédait toujours le “petit” monarque. Il savait que son père était interné à Vung Tau parce qu’il avait des idées et des actions contre les Français. De nature intelligente, mûri avant l’âge par la situation, il n’oubliait pas ses reponsabilités même devant ce beau paysage de la mer immense et du ciel élevé. Un jour, après s’être baigné dans la mer, il alla s’asseoir comme d’habitude sur la plage à côté d’un garde de corps. Il s’amusait en construisant des châteaux avec du sable. Puis il se leva. Voyant ses mains salies de sable, le garde de corps apporta un bassin d’eau. Le roi regarda ses mains puis regarda le garde en demandant :

“ On se lave les mains sales avec de l’eau. Alors si l’eau est sale avec quoi peut-on se laver ?”

L’interlocuteur regarda le roi avec peur, il bafouilla sans pouvoir répondre. Devant cette attitude embarrassante, le roi dit :

“ Si l’eau est sale, on se lave avec du sang, vous comprenez ? ”

Le vieux garde de corps pâlit de peur, il regarda autour de lui pour voir s’il y avait quelqu’un, tandis que le roi Duy Tan se plongeait dans la méditation.


Une autre fois, le ministre Nguyen Huu Bai alla lui rendre visite pour voir comment il vivait et s’il pouvait s’adapter à la situation. Le roi n’étant pas à la maison, il alla à la plage. Il s’aperçut de loin un homme assis, les deux mains appuyées au menton, les yeux tournant vers la mer de l’Est. Le vieux garde de corps se tenait debout à côté , les bras croisés. Le ministre Nguyen Huu Bai vint saluer le roi qui gardait une mine triste. Après s’être enquéri de la santé du roi, il lui fit part de la situation de la cour et des reines des Deux-Palais, et proposa au roi de faire une partie de pêche. Le roi était d’accord. Et voilà le roi et le ministre en barque vers l’estuaire Tung. Après un trajet pas trop long, le roi demanda à s’arrêter pour faire la pêche. À peine lança-t-il la canne que l’hameçon était retenu par quelque chose. Le roi essaya de le dégager en suivant la ligne. Après avoir repris l’hameçon, en s’inspirant sur la situation d’avoir l’hameçon retenu, il improvisa une paire de sentences parallèles, avec l’intention de sonder les sentiments du ministre :


Assis sur l’eau, on ne peut pas entraver le courant

La canne lancée, il faut continuer l’affaire inachevée.


Les sentences parallèles avaient un double sens. Le roi faisait allusion à cette partie de pêche : il était assis sur une barque, et son hameçon était retenu, il fallait le dégager. Mais l’autre interprétation était plus profonde : en tant que souverain, il ne pouvait pas empêcher l’invasion des Français. Avec la responsabilité devant la patrie qu’il avait assumée, il lui fallait tout faire pour le salut national.

Après avoir entendu ces deux phrases, le ministre Nguyen Huu Bai admirait bien le roi pour sa volonté de défendre la patrie. Mais le roi était encore petit, ses forces insuffisantes, il pourrait affronter des dangers comme le cas de son père. Le ministre chercha à conseiller au roi qu’il fallait laisser de côté des projets dangereux car ce n’était pas encore le temps d’agir. Alors il répliqua par ces sentences parallèles :


Vivre en vie, quel dégoût pour la vie

Laissez passer les choses en fermant les yeux.


Le roi désespérait beaucoup d’entendre ces phrases. Il dit au ministre de rentrer. Il n’avait désormais confiance en personne à la cour.Dans ses yeux, les mandarins de la cour ne cherchaient que gloire pour eux-mêmes et richesses pour leur famille, ils se contentaient de vivre en paix au jour le jour.(2)


LE SOIR,

DEVANT L’EMBARCADÈRE VAN LAU

QUI VIENT S’ASSEOIR, FAISANT LA PÊCHE,

LE CŒUR BIEN LOURD, L’ÂME EN DÉTRESSE.


Ces vers d’une chanson populaire de Ung Binh Thuc Da Thi largement connus à Hué auparavant avaient-ils des relations avec l’insurrection du roi Duy Tan en 1916 ?


Un jour du mois de mai 1916, selon le projet prévu, Tran Cao Van alla pêcher près du Pavillon Nghinh Luong sur une petite barque en bambou tressé en attendant le roi Duy Tan. Mais le secret révélé, il fut arrêté. Et peut-être pour marquer cet événement plein de sang et de larmes, le poète Ung Binh a fait les vers précités qui deviendraient bien connus dans tout le pays.

Sachant que Duy Tan était un roi progressiste, imbu d’un patriotisme fervent et des tendances anti-françaises comme le roi Thanh Thai, la Viet Nam Quang Phuc Hoi ( Association pour la Restauration du Viet-Nam ) décida de le contacter. Cherchant à connaître les fréquentations du roi, les dirigeants de l’Association pour la Restauration du Viet-Nam- Thai Phien et Tran Cao Van - se mirent à élaborer un projet. D’abord, sachant que le roi sortait souvent en voiture et que son chauffeur était déjà assez âgé, les dirigeants de l’Association essayèrent de convaincre celui-ci en lui donnant une grosse somme d’argent pour qu’il demandât son congé. Tout se passait comme prévu, le chauffeur était d’accord pour quitter son emploi après avoir présenté au roi un remplaçant, Phan Huu Khanh, qui était un partisan de l’Association. À partir de ce jour, il y avait toujours à côté du roi un membre de l’Association . Toutes les activités du roi et de la cour étaient rapportées par Khanh, par contre, l’Association avait la bonne condition de contacter le roi.

En été de l’année 1915, le roi alla en villégiature à l’estuaire Tung, accompagné de Phan Huu Khanh. À leur arrivée, Khanh présenta en secret au roi une lettre de l’Association pour la Restauration du Viet Nam. Un paragraphe de la lettre se lisait :

“ … Le Ciel vous a fait intelligent et honnête, déterminé à lutter contre les Français. De la terre est né l’homme de talent ayant le droit de chasser l’ennemi par l’amour du peuple ! Le roi père Thanh Thai – pourquoi était-il déporté ? La tombe du roi Duc Ton ( ou Tu Duc ) – pourquoi était-elle creusée?”

La lettre présenta aussi au roi les misères du peuple depuis l’occupation des Français. Après la lecture, le roi se montrait très ému, il demanda à Khanh de le faire voir le leader de l’Association.

Khanh fit des prosternations en s’agenouillant et promit d’arranger une entrevue. Le roi le redressa en disant :

“ J’aurais dû vous remercier, pourquoi agissez-vous de la sorte, si vous m’aimez, aidez-moi !”

Phan Huu Khanh informa Thai Phien de l’intention du roi. Et l’Association organisa une entrevue avec le roi au lac Tinh Tam.

Au jour du rendez-vous, le roi Duy Tan, vêtu de simples habits, une canne à pêche à la main, sortit de la porte Hoa Binh en direction du lac Tinh Tam. Il y rencontra les deux dirigeants de l’Association de la Restauration du Viet Nam, MM. Thai Phien et Tran Cao Van, déguisés eux- aussi en pêcheurs. L’entrevue durait assez longtemps. Le roi Duy Tan était d’accord avec le projet proposé par les deux dirigeants, il les pressa d’agir tout de suite car c’était la meilleure occasion ( la Première Guerre Mondiale arrivant au phase décisif, la France était occupée de faire face à l’Allemagne et l’Italie et ne faisait pas attention aux colonies… ). Après la rencontre, le roi rentra au palais royal, les deux dirigeants se hâtèrent d’aller à Quang Nam consolider les forces, élaborer le plan de l’insurrection.

D’après le projet entendu, l’insurrection aurait lieu le 23 mai 1916, mais le roi voulait une date antérieure sinon un grand nombre de soldats – dont nos partisans – s’embarqueraient pour la France. Le roi proposa une date fixée deux semaines plus tôt, soit la nuit du 3 au matin du 4 mai 1916.

Cette nuit-là, le roi Duy Tan se rendit mystérieusement au Pavillon Phu Van Lau, pieds nus, vêtu d’une veste courte rouge foncé, d’un turban noir et d’un pantalon blanc. Une barque l’attendait pour le transporter en remontant le long de la rivière en direction de Bach Ho pour arriver enfin à la rivière Loi Nong ( An Cuu ). La barque aborda, un membre de l’Association vint emmener le roi à une maison au bord de la rivière. C’était la demeure de Nguyen Van Tru, celui qui était désigné par Tran Cao Van pour commander des troupes dans l’attaque du Bastion Tran Binh. À la vue de Tru, le roi l’encouragea, celui-ci dit oui pour la forme, jurant de remplir la mission. Or il avait trahi ses serments : sur le chemin au poste Mang Ca, il a accouru au Bureau du Résident supérieur pour tout annoncer au résident. C’était 1 heure du matin le 4 mai. Le résident supérieur Charles commanda un groupe de soldats à la patrouille. Ne trouvant pas le roi Duy Tan dans le palais, il croyait que Tru avait dit la vérité, que l’insurrection avait commencé. Il décréta par téléphone le couvre-feu et fit désarmer tous les soldats qui allaient partir pour la France et qui étaient réunis au poste Mang Ca. Sachant que quelqu’un a trahi, le roi Duy Tan prit la barque en longeant la rivière Loi Nong pour arriver à Ha Trung. Le jour suivant, de peur d’être découverts, tous retournèrent vers la région montagneuse du sud-ouest de la province de Thua Thien pour s’abriter dans une maison au pied de la montagne Thien Thai, dans le quartier Ngu Tay, village de An Cuu. Le chef de ce quartier était aussi un traître, il courut annoncer aux Français l’abri actuel du roi. Et voilà Le Folt et l’agent de sûreté Sogny conduisirent des soldats à l’arrestation du roi.

Le roi Duy Tan et sa suite furent conduits à la citadelle et internés au poste Mang Ca. Thai Phien, Tran Cao Van et un grand nombre des membres de l’Association pour la Restauration du Vietnam étaient tous arrêtés . Sogny reçut l’ordre d’étouffer cette insurrection dans une mer de sang.

D’après ce que l’on raconte, à la pagode Thien Ton, après être arrêté, le roi Duy Tan restait toujours très calme. Il soupira de temps en temps sans mot dire. Le chef de cabinet du Bureau du résident supérieur le salua d’un air poli faussé en disant ironiquement :

- Eh bien, Sire ! Vous avez fini cette randonnée ?

- Vous ne pouvez pas comprendre ! , répondit le roi en haussant les épaules .

Juste à ce moment, Tru entra, fit des prosternations et dit :

- Je suis celui qui avait obtenu une audience avec Votre Majesté hier soir au bord de la rivière Loi Nong, Votre Majesté me reconnaît-Elle ?

Le roi le regarda avec des yeux méprisants en répondant :

- Oui, je te reconnais bien. Traître !

Tru se retira, honteux. Voyant quelque chose à hauteur d’appui du roi, l’agent de sûreté Sogny croyait que c’était un revolver et le regardait fixement. Comprenant la situation, le roi lui dit :

- Vous croyez que c’est un revolver ? Pas du tout. Si j’ai un revolver, je vous ai tués avec. Ce n’est qu’un morceau d’aliment séché !

Puis, il releva sa veste, tira une pochette rouge : deux sceaux d’or là-dedans !

Vers midi, ils introduisirent le roi au Bureau du Résident Supérieur. Le Résident Charles lui serra la main en riant et lui dit d’un ton railleur :

- Eh bien, Sire ! Vous êtes content de votre équipée ?

- Non, puisqu’elle n’a pas réussi, répondit le roi calmement.

Il était difficile de dompter la volonté de ce jeune roi. Ils l’internèrent à Mang Ca puis le livrèrent à la cour de Hué pour le juger. À ce moment, Le Marchant de Trignon remplaça Charles comme résident supérieur de Trung Ky. De Trignon exigea que la cour de Hué convainquît le roi du renoncement à ses opinions anti-françaises. Il serait gracié par le gouvernement français en cas de résipiscence.

Les persuasions s’avéraient inutiles. Trouvant ses efforts vains, le résident de Trignon téléphona au gouverneur de Hanoï pour que celui-ci résolût le problème.

À Hué, le gouverneur général de l’Indochine chercha à embaucher le roi mais il répondit tout le temps qu’il retournerait au trône à condition que “ la France mît en exécution les clauses du Traité 1884 ( Patenôtre ) : la France jouait le rôle de tutelle et non de protectorat ; il fallait le reconnaître comme un roi majeur ; il fallait dissoudre le Conseil de Régence ; la France ne pourrait rien faire au nom du roi.”

Le gouverneur de l’Indochine n’était pas en mesure de satisfaire à ces conditions, et, avec l’approbation du gouvernement français , il déporta le roi à l’île Réunion où avait été déporté le roi Thanh Thai.

À Hué, les révolutionnaires tels que Thai Phien, Tran Cao Van étaient condamnés à décapitation.


LES JOURS D’EXIL


A la fin de la Première Guerre Mondiale, la France commença à consolider ses forces dans les colonies. Le mouvement anti-français se répandait de plus en plus de l’Asie à l’Afrique. Trouvant que l’emprisonnement du roi Thanh Thai et de son fils, roi Duy Tan, à Cap Saint-Jacques n’était pas profitable ( car la présence de ces deux rois pourrait animer les activités du mouvement anti-français ), le gouvernement français ordonna au gouverneur de l’Indochine de les déporter en Afrique. En 1919, les deux rois furent conduits en bateau à l’île Réunion. Au début ils les internèrent séparément dans les deux îles avant de les laisser ensemble à Saint-Denis. Le roi Duy Tan y vivait avec sa femme Mai Thi Vang, fille de son ancien professeur. Les deux époux passaient des jours d’exil misérables. Comme elle n’était pas habituée aux conditions climatériques, Mme Vang était souvent malade. Elle n’avait pas encore d’enfant avec le roi Duy Tan. En 1921, trouvant qu’elle ne pouvait pas supporter le climat de l’île, le roi Duy Tan la laissa rentrer. Au Vietnam, elle continuait seule sa vie sans se remarier et mourut en l’année du Singe à Kim Long, Hué. Quant au roi Duy Tan, la vie solitaire à l’île l’obligea à tout faire. Outre les activités quotidiennes, il apprenait la musique, l’épée et surtout, il se perfectionnait en langues étrangères. Il fréquentait les indigènes qui les estimaient bien. En 1927, sur les conseils de son père, le roi Duy Tan se maria avec Fernante Antier, une jeune fille française, après, il se maria encore avec Marx Ernestine.

La Seconde Guerre Mondiale éclata. L’Allemagne attaqua la France et occupa Paris. De Gaulle se rendit en Angleterre organiser la résistance. A Saint Denis, le roi Duy Tan participa au mouvement de résistance du général de Gaulle. En 1945, avec son unité il fut muté en France avec le grade d’aspirant. En septembre 1945, il fut nommé, par une décision signée par le général de Gaulle lui-même, chef de bataillon d’une unité française avec le grade de commandant. D’après les documents récemment découverts, le général de Gaulle lui avait promis de le ramener au Vietnam pour des affaires politiques. En France, il rencontrait assez fréquemment le général de Gaulle pour lui formuler ses vœux. Au mois de décembre de cette année ( 1945 ), il obtint un congé pour rentrer à Saint Denis revoir son père et sa famille. Dans le vol de Paris à Saint Denis, son avion brûla et tomba sur le territoire de la République de Bangui, en Afrique. La mort du roi Duy Tan restait un procès douteux jusqu’à présent. D’après quelques documents, devant les demandes du roi Duy Tan, le gouvernement français a poussé le général de Gaulle à supprimer cet homme “ trop dangereux pour le protectorat de la France en Annam”. C’est pourquoi, le ministère de l’Intérieur français a arrangé le congé accordé au roi pour le tuer ensuite par un accident d’avion.

Après l’accident au Bangui, son corps était enterré dans un cimetière catholique, le cimetière M’Baiki. Le roi Thanh Thai et toute la famille étaient tout ébahis à la nouvelle de l’accident mortel de Duy Tan.

En 1985, les ossements du roi Duy Tan furent transportés au Vietnam et enterrés à côté de la tombe de son père à An Lang ( Hué ). La cérémonie d’enterrement était organisée solennellement par les autorités de Hué. Ainsi, après la séparation du pays natal en 66 ans, le roi patriote a pu rentrer à la patrie dans le regret du peuple.


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(1) D’après Hoang Trong Thuoc et Ton That Sa.

2) D’après Thai Van Kiem, in Dat Viet troi Nam, édition Nguon song, 1960.



Traduit du vietnamien.

NHÀ NGUYỄN – chín chúa mười ba vua – THI LONG




mardi 16 juin 2009

INSTANT D’ÉMOTION



Vous choisissez votre chemin, je prends le mien,

De notre attachement, il ne reste plus rien.

Sans aucun espoir de nous réunir encore,

À quoi bon, aux adieux, nous tourmenter alors ?


Notre patrie attend vos pas d’aventurier

Et on entend quelque part le chant des guerriers.

D’un cœur éthéré, oubliant tous mes chagrins,

Je vous reconduis aux lieux de danger sans fin.


Le chemin vous ouvre des nouveautés du pays,

Votre volonté s’expose aux intempéries,

Vous qui avez voué votre vie aux aventures

Oublieriez sans regret cet amour si pur !


Contemplant les nuages, quand vous vous arrêtez

Sur la berge d’une rivière désertée,

Un soir d’automne frissonnant de premiers froids,

Vous penserez, même pour un instant, à moi.


Voulez-vous bien croire que votre amie d’antan,

Quoique captive en sa geôle depuis lontemps,

Suit par son âme votre dur itinéraire

Et compte chaque pas que vous avez à faire !



***


Aux adieux tu m’as dit des mots encourageants,

Est-ce pour m’épargner un départ déchirant ?

Mais les sanglots trahissent ton cœur affligé

Je comprends ta peine, tu ne peux la cacher.


Tu étais appuyée contre un abricotier,

Rabaissant une branche chargée de rosée

Tu agrippais ta tunique au vent et souriais

En disant que les fleurs, à ta place, pleuraient.


Puis ce fut le silence qui tomba brusquement,

À mon départ on s’était regardés calmement,

Pourtant à cet instant de fausse indifférence

On sentit que serait trop longue la souffrance.


Poursuivant ma carrière depuis tant d’années,

Exposant aux vents mes cheveux ébouriffés,

Très rarement j’ai pu songer au temps jadis,

Laissant mon âme rêver à ma douce amie.


J’aimerais bien maintenir mon cœur refroidi,

Des liens passés, nullement je ne m’en soucie,

Et pourtant je me sens malgré moi empêtré

Par la souvenance d’un amour réprimé.


Aujourd’hui au cours d’un repos momentané,

Entendant tout autour les pétards crépiter,

D’un logis, éludant les épreuves du temps,

Je regarde les gens accueillir le printemps.


Avec quel éclat le printemps partout se voit !

Sur les routes résonnent les rires de joie,

Et je pense, ému, à toi qui, ce printemps-là,

Admirais les fleurs d’abricotier avec moi.


Mon cœur déborde encore d’un amour ardent

Comme les lueurs du ciel au soleil couchant.

Et l’idée de te voir m’a inondé de larmes

Si bien que je pense même abandonner la marche.


Mon trajet est encore long et fatigant,

Je veux prendre cette halte pour le moment

Pour penser à l’amie dans son coin éloigné

Que je ne sais heureuse ou toujours chagrinée.



Traduction de THÂN TRỌNG SƠN

( Juin 2009 )


GIÂY PHÚT CHẠNH LÒNG

Anh đi đường anh, tôi đường tôi,

Tình nghĩa đôi ta có thế thôi.

Ðã quyết không mong sum họp mãi,

Bận lòng chi nữa lúc chia phôi ?


Non nước đang chờ gót lãng du,

Ðâu đây vẳng tiếng hát chinh phu

Lòng tôi phơi phới quên thương tiếc,

Ðưa tiễn anh ra chốn hải hồ.


Anh đi vui cảnh lạ đường xa,

Ðem chí bình sinh dải nắng mưa,

Thân đã hiến cho đời gió bụi,

Ðâu còn lưu luyến chút duyên tơ ?


Rồi có khi nào ngắm bóng mây

Chiu thu đưa lạnh gió heo may

Dừng chân trên bến sông xa vắng,

Chạnh nhớ tình tôi trong phút giâỵ


Xin anh cứ tưởng bạn anh tuy

Giam hãm thân trong cảnh nặng nề,

Vẫn để lòng theo người lận đận,

Vẫn hằng trông đếm bước anh đi.


Lấy câu khẳng khái tiễn đưa nhau,

Em muốn cho ta chẳng thảm sầu

Nhưng chính lòng em còn thổn thức,

Buồn kia em giấu được ta đâu ?


Em đứng nương mình dưới gốc mai,

Vin cành sương đọng lệ hoa rơi,

Cười nâng tà áo đưa lên gió,

Em bảo : hoa kia khóc hộ người.


Rồi bỗng ngừng vui cùng lẳng lặng,

Nhìn nhau bình thản lúc ra đi.

Nhưng trong khoảnh khắc ơ thờ ấy

Thấy cả muôn đời hận biệt ly.


Năm năm theo tiếng gọi lên đường,

Tóc lộng tơi bời gió bốn phương,

Mấy lúc thẫn thờ trông trở lại,

Ðể hồn mơ tới bạn quê hương.


Ta muốn lòng ta cứ lạnh lùng

Gác tình duyên cũ thẳng đường trông.

Song le hương khói yêu đương vẫn

Phảng phất còn vương vấn cạnh lòng.


Hôm nay tạm nghỉ bước gian nan

Trong lúc gần xa pháo nổ ran,

Rũ áo phong sương trên gác trọ ,

Lặng nhìn thiên hạ đón xuân sang.


Ta thấy xuân nồng thắm khắp nơi,

Trên đường rộn rã tiếng đua cười,

Ðộng lòng nhớ bạn xuân năm ấy

Cùng ngắm xuân về trên khóm mai.


Lòng ta tha thiết đượm tình yêu.

Như cảnh trời xuân luyến nắng chiều,

Mắt lệ đắm trông miền cách biệt,

Phút giây chừng mỏi gối phiêu lưu...


Cát bụi tung trời - Ðường vất vả

Còn dài - Nhưng hãy tạm dừng chân,

Tưởng người trong chốn xa xăm ấy

Chẳng biết vui buồn đón gió xuân.



THẾ LỮ





samedi 13 juin 2009

L’ÂME DU POÈTE





À l’occasion apparaît la poésie

Les rencontres lui donnent des rimes

Exprimant les sentiments intimes

Comme la vérité de la vie.



L’homme vivant, la poésie est infinie

L’homme décédé, la poésie semble planer

Coule toujours le courant de la vie

Seule l’âme du poète peut à jamais durer.



Traduction de THÂN TRỌNG SƠN



HỒN THI NHÂN



Tùng duyên thơ hiện thân

Gặp nhau thơ thành vần

Nói lên lòng nhân thế

Như thị vạn lẽ chân.


Người sống thơ vô tận

Người mất thơ lâng lâng

Giòng đời trôi xuôi mãi

Chỉ còn hồn thi nhân.



DUY VIỆT




jeudi 11 juin 2009

LE ROI THANH THAI





LE ROI THANH THAI

( 1889 – 1907 )

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La mort du roi Dong Khanh qui survint aux derniers jours de l’année poussait la cour de Hué et les Français dans un désarroi. Dans trois jours ce serait le Têt traditionnel, alors le Conseil Secret se hâta de demander l’avis des reines des Deux Palais, et l’avis du résident supérieur Rheinart. Les Français et les mandarins de la cour étaient obligés de choisir un successeur au trône afin d’ avoir un nouveau roi dès les premiers jours de la nouvelle année. Enfin les deux partis étaient d’accord pour introniser le prince Buu Lan, âgé de 10 ans, fils du roi Duc Duc.


Selon les rumeurs, le choix du prince Buu Lan était en quelque sorte décidé par Diep Van Cuong, mari de la tante du prince Buu Lan, princesse Thien Niem. Si c’était vrai, il s’agissait donc d’un arrangement prédestiné.

On racontait souvent l’anecdote de l’avènement du prince Buu Lan. Dans le Registre généalogique de la famille Nguyen Phuc, on peut lire :


“ À la mort du roi Dong Khanh, les ministres du Conseil Secret n’osaient pas décider le choix du successeur. Ils allèrent tous consulter le résident supérieur. M. Diep Van Cuong travaillait en ce moment au bureau du résident. Un ministre demanda : “ À l’heure actuelle, le roi Dong Khanh n’est plus. A votre avis, qui pourrons-nous choisir comme successeur ?”. Cette phrase était traduite par Diep Van Cuong : “ À l’heure actuelle, le roi Dong Khanh n’est plus. Les reines des Deux-Palais et le Conseil Secret se sont mis d’accord pour introniser le prince Buu Lan. Quel est votre avis ?”. Le résident supérieur répondit : “ Si les reines des Deux-Palais et le Conseil Secret sont d’accord pour choisir le prince Buu Lan, je l’approuve moi aussi.” Et voici ce que Diep Van Cuong a traduit :“ À mon avis, ce serait mieux de choisir le prince Buu Lan." ” (1)


Après cette entrevue, le Conseil Secret intronisa le prince Buu Lan.

Le prince Buu Lan était le fils du roi Duc Duc et de la reine Tu Minh de la famille Phan. Lorsque le roi Duc Duc fut tué, le prince venait vivre avec sa mère chez sa famille maternelle. À l’avènement du roi Dong Khanh, il accompagna sa mère à la résidence Duc Duc. Bien qu’encore très jeune, le prince Buu Lan comprenait bien la situation de son père. Il se montrait toujours prudent. Jusqu’au jour où il fut choisi comme successeur, il vivait dans la maison de culte avec sa mère dans la pauvreté. C’était la fin de l’année. La reine Tu Minh était occupée à préparer le Têt dehors. Le prince Buu Lan s’amusait dans le voisinage lorsque les messagers de la cour arrivèrent le rencontrer. À 10 ans, le prince semblait plus mûri que les enfants de son âge. Voyant les mandarins avec un palanquin, il prit peur en demandant : “ Pourquoi venez-vous ici ? Vous m’arrêtez pour me punir ? Faites ce que vous voulez, mais attendez jusqu'à ce que ma mère revienne.”


La reine Tu Minh rentra à la maison. Elle se mit à pleurer quand les mandarins avaient exprimé la volonté d’emmener le prince à la cour pour devenir roi. Elle ne pouvait pas oublier l’image du roi Duc Duc, son mari, ni les morts tragiques des rois Hiep Hoa, Kien Phuc. C’est pourquoi elle s’inquiétait beaucoup de savoir que son fils serait intronisé. Les mandarins lui expliquèrent que ce choix avait été fait avec l’approbation des reines des Deux-Palais, du Conseil Secret, du résident supérieur français. Alors elle se tranquillisait un peu mais elle palpitait de peur en pensant à ce qui pourrait arriver à son fils. Et voilà le prince introduit à la Cité Impériale pour l’intronisation.



L’AVÈNEMENT DU ROI THANH THAI


Le 2e jour du 1er mois de l’année du Buffle ( 2 février 1889 ), au Palais de la Suprême Harmonie, la cour célébra officiellement l’intronisation du prince Buu Lan, avec le nom de règne de Thanh Thai.

Dès 3 heures du matin, le Palais de la Suprême Harmonie resplendissait déjà de fleurs et de lanternes. Les mandarins, vêtus de costumes des grandes audiences, se mettaient en deux rangs dans la cour devant la Résidence, selon leur degré, les civils à gauche, les militaires à droite.


Le matin du 2e jour du Têt de l’année du Buffle, la cérémonie d’intronisation commença. Le roi Thanh Thai, vêtu du manteau royal, d’une coiffure aux neuf dragons, portant une ceinture de jade, une tablette de jade à la main, se tenait droit sur le trône. À 6 heures précises, la délégation française introduite par le Résident Supérieur de Trung Ky ( région centrale ) Rheinart, représentant du gouvernement français, entra par la porte principale de Ngo Mon. Arrivés à la cour du Palais de la Suprême Harmonie, ils étaient accueillis par le roi Thanh Thai qui venait de descendre de son trône. Un mandarin eunuque, un éventail à la main, suivit le roi. Bien qu’âgé seulement de 10 ans, le roi semblait déjà correct, on dirait un jeune homme. L’eunuque agita son éventail en soulevant le pan du manteau royal car le roi marchait avec difficulté.


Le roi Thanh Thai s’approcha du résident Rheinart, lui serra la main. Rheinart fit un discours au nom du gouvernement français. Le roi descendit du trône, écouta et fit le discours de réponse d’une voix claire qui résonnait dans toute la salle. La cérémonie continua, le roi revint s’asseoir sur le trône. La délégation française se mettait à l’écart pendant que les mandarins vinrent présenter au roi les souhaits. Après quoi, les mandarins s’agenouillaient en écoutant la lecture de l’acte d’investiture faite par un mandarin. Le texte parlait des exploits des rois antérieurs, puis des raisons pour lesquelles on a choisi le roi. Ensuite on souhaitait que le roi continuât bien l’œuvre d’administrer le pays en conservant les bonnes relations avec les Français pour apporter du bonheur au peuple. Après avoir écouté tout cela, les mandarins firent cinq prosternations et se mettaient debout aux deux côtés de la cour. Un mandarin du Ministère des Rites demanda au roi de proclamer l’ordonnance de faveur et d’utiliser le sceau monarchique. Le roi réalisa ce qu’on lui demanda.La cérémonie prit fin. Rheinart et la délégation français partirent. Le roi alla au palais Can Chanh en palanquin.



UNE ÉTRANGE MANIÈRE

DE CHOISIR UNE ÉPOUSE DU ROI THANH THAI



“À Kim Long tant de jolies filles font si bonne figure

Que, par amour, Sa Majesté y va à l’aventure. »


Selon les rumeurs, ces deux vers étaient écrits par le roi Thanh Thai après une promenade à Kim Long au cours de laquelle il tomba amoureux d’une jeune fille pour la fréquenter souvent après. Il s’agissait de la fille du grand mandarin Nguyen Huu Do, Mlle Nga. Ces deux vers étaient une plaisanterie du roi avec la “ jolie fille à bonne figure” qui, dit-on, serait amenée au palais royal en !895 et qui serait nommée Huyen phi (épouse du second rang ). Le roi aimait voyager incognito hors de la citadelle. Déguisé en étudiant, il allait visiter les beaux sites. Un jour , avec ses confidents, le roi sortit par la porte Nha Do puis arriva à Kim Long rendre visite à “ la belle”. De retour, le roi et sa suite passeørent par l’embarcadère Ke Van. À peine arrivé à la rive il se sentait fasciné devant la rameuse charmante. De nature romantique, le roi décida de rentrer au palais en barque, ayant ainsi l’occasion de bavarder avec la belle rameuse. La barque venait de quitter la rive en direction de Bach Ho, le roi demanda à la jeune fille en plaisantant : “ Ô jeune fille, voulez-vous épouser le roi ?”.

Ne sachant pas que c’était le roi lui-même, la jeune fille répondit d’un ton mi-plaisant, mi-sérieux : “ Je veux bien.”


Et le roi galant se leva en prenant la main de la fille et la fit asseoir à la poupe de la barque. Il prit la rame, faire avancer la barque vers l’embarcadère Nghinh Luong en face du Pavillon Phu Van. La barque accosta, le roi ordonna d’amener la fille au palais selon ses vœux. Cette attitude étrange du roi étonnait trop ses gardes, tandis que la jeune fille, elle n’avait pas le temps de prendre une réaction.



LE ROI THANH THAI

ET LE RÉSIDENT SUPÉRIEUR LEVECQUE


A mesure qu’il grandit, le roi Thanh Thai avait de la haine contre les Français. Au cours de ses voyages à l’extérieur de la citadelle, il pouvait comprendre les sentiments du peuple à l’égard de la cour et des Français. Les habitants lui révélaient souvent les actes brutaux et méchants des Français. Ses réactions, quoique passives, causèrent des problèmes au résident supérieur. Même les mandarins de la cour pensaient parfois que le roi était atteint d’une maladie mentale, ils demandaient aux reines des Deux-Palais de l’envoyer se reposer au lac Tinh Tam. Pendant les jours passés ici, le roi se sentait plus à l’aise, détaché de toute contrainte qu’il avait subie au Palais Can Chanh. En 1897, commença la construction du pont Trang Tien enjambant la Rivière des Parfums. Le travail, entrepris par la Compagnie Eiffel, durait deux ans. En 1990, à son inaguration, le pont fut nommé Pont Thanh Thai. Voici une anecdote qu’on racontait souvent. Le jour où l’on posa la première pierre avant de commencer les fondations, le roi Thanh Thai et le résident supérieur français Levecque étaient tous les deux présents. Après la cérémonie, Levecque dit au roi :


“ Quand ce pont sera rompu, le Protectorat vous rendra l’Annam, Sire.”


Avec cette plaisanterie, le résident supérieur voulait encore se vanter de la solidité du pont contruit par les Français. Aucune force ne saurait rompre ce pont. Or, en l’année du Dragon ( 1904 ), une tempête violente ravagea la citadelle de Hué et souffla quatre travées du pont dans la Rivière des Parfums. Quelques jours après, le résident Levecque fut invité à un banquet dans la Cité Impériale. Le roi Thanh Thai lui serra la main en demandant :


- Le pont a été rompu, alors, Monsieur ?


Le résident supérieur pâlit, étonné de la mémoire du roi. Il détourna la question en s’enquérant de la santé du roi. À partir de ce moment, Levecque avait de l’antipathie pour ce roi “toqué”.



LE ROI THANH THAI ET LES SOLDATS FEMMES


Le roi considéré comme “ toqué” avait fait des actions qu’on prenait pour étranges, fantaisistes : Il a formé mystérieusement, avec des confidents, un groupe de femmes soldats dans la Cité Pourpre Interdite à l’insu du Conseil Secret. Les contemporains interprétaient ce fait de deux façons . Les uns croyaient que le roi aimait toujours la beauté féminine, qu’il voulait choisir lui-même des concubines sans que les mandarins le sussent. D’ailleurs, le roi était de nature capricieuse, le fait de former un groupe de femmes soldats ne reflétait que sa “ fantasie”, sa “folie”. Les autres comprenaient d’une manière différente. Ils savaient que le roi voyageait souvent incognito, déguisé en homme du peuple, qu’il détestait les Français et les mandarins pro-français. Une telle formation, pensaient-ils, se faisait en attendant le moment d’agir. La deuxième interprétation semblait plus véridique. D’après les rumeurs, tout cela se passait en secret. D’abord, le roi envoya des confidents dans les villages environnants de Kim Long prendre contact avec des familles et des filles à sélectionner. Si celles-ci étaient d’accord, il fit jouer une scène “d’enlèvement” pour éviter la surveillance des agents de sûreté.


Chaque fois, 50 jeunes filles étaient sélectionnées. Entrées dans la cour, elles portaient des vêtements spéciaux. Le jour, elles se faisaient marchandes dans un petit marché dans la Cité Impériale. La nuit, elles apprenaient des arts martiaux. Quand elles étaient assez compétentes, on les renvoya en secret à leur famille et une autre sélection de 50 jeunes filles recommençait. De cette façon, le groupe comprenait toujours 50 femmes soldats mais en réalité l’effectif était beaucoup plus nombreux. Pourtant tout secret devrait être révélé. Après un certain temps, le Conseil Secret soupçonna et entreprit des investigations. Un jour, un groupe de soldats faisant la patrouille à la porte Huu découvrirent la relève des anciennes et nouvelles filles. Ainsi toute l’histoire était-elle dévoilée. À partir de ce jour, l’activité des femmes soldats fut interdite.

Levecque savait profiter de cette action du roi. Il rapporta au Gouverneur Général Français à Saigon et au Ministère des Colonies en France que le roi était fou.



LES JOURS D’EXIL


En 1906, les contradictions entre le roi et le Conseil Secret ainsi que le Bureau du Résident supérieur devenaient de plus en plus graves. Le résident savait la tendance d’opposition du roi mais il n’avait aucune raison valable pour le limoger sauf qu’il le taxait de folie. Il discutait avec le Conseil Secret pour priver le roi peu à peu de ses droits. Il avait dans la main un poème écrit par le roi en 1902 lors de son voyage dans le Nord. Le contenu du poème montrait que le roi avait la volonté de vengeance, surtout dans les deux derniers vers. Voici le texte original en chinois classique :


Kỷ độ tang thương kỷ độ kinh

Nhất phiên hồi thú nhất phiên tình

Ngưu hồ dĩ biến tam triều cuộc

Hổ động không dư bách chiến thành.

Nùng lĩnh phù vân kim cố sắc

Nhị hà lưu thủy khốc ca thanh

Cầm hồ đoạt sáo nhân hà tại

Thùy vị giang sơn tấy bất bình.



Que de vicissitudes ont causé bien des peurs

En regardant en arrière on se sent frappé de douleurs

Le Lac du Buffle a vu trois règnes se succéder

La Grotte du Tigre résonne encore des chants passés

Les nuages couvrent la montagne d’en haut

Les sons tristes se font entendre du cours d’eau

Où peut-on trouver quelqu’un de talentueux

Pour libérer la patrie des liens malheureux ? (2)



En juillet 1907, Levecque communiqua au roi Thanh Thai : “ Désormais le roi ne peut pas sortir de la Citadelle, toutes les affaires sont réglées par le Conseil des Ministres.”

Ainsi le roi fut-il privé de ses pouvoirs et astreint à une résidence surveillée. Pour légaliser cette décision, le Bureau du Résident Supérieur et le Conseil de Régence ( un conseil qui venait d’être formé à la place du Conseil des Ministres ) proclamèrent un communiqué au peuple : “ Le roi Thanh Thai est fou, au profit des intérêts du pays, les gouvernements vietnamien et français décident son abdication et l’intronisation d’un nouveau roi.”

En septembre 1907, les grands mandarins entrèrent au Palais Can Thanh présenter un placet avec la signature de presque tous les dignitaires de la cour, joint à “l’ ordonnance d’abdication” rédigée par eux-mêmes. Le roi lut l’ordonnance d’abdication en riant du bout des lèvres. D’un geste comique, il y inscrivit “ Approuvé ” puis jeta la plume avant d’entrer à l’intérieur du palais, laissant les mandarins qui le suivaient des yeux dépaysés.

Une semaine après, le roi fut escorté à Saigon et mis sous surveillance à Vung Tau jusqu’en 1916, date où la Première Guerre Mondiale arriva à la phase décisive, il fut déporté à l’île Réunion ( en Afrique ) avec son fils – le roi Duy Tan.

Après 40 ans en exil, en mai 1947, il était permis de rentrer au Vietnam et mis en surveillance à Saigon jusqu’au mois de mars 1954, date de sa mort à l’âge de 76 ans. Il était enterré à Hué.



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(1) Registre généalogique de la famille Nguyen Phuc, p. 297

(2) Le texte original en chinois classique et la traduction ( vietnamienne )

sont inscrits dans le Registre généalogique de la famille Nguyen Phuc.




Traduit du vietnamien

NHÀ NGUYỄN – Chín chúa mười ba vua – THI LONG