jeudi 11 juin 2009

LE ROI THANH THAI





LE ROI THANH THAI

( 1889 – 1907 )

__________________________________________________________________



La mort du roi Dong Khanh qui survint aux derniers jours de l’année poussait la cour de Hué et les Français dans un désarroi. Dans trois jours ce serait le Têt traditionnel, alors le Conseil Secret se hâta de demander l’avis des reines des Deux Palais, et l’avis du résident supérieur Rheinart. Les Français et les mandarins de la cour étaient obligés de choisir un successeur au trône afin d’ avoir un nouveau roi dès les premiers jours de la nouvelle année. Enfin les deux partis étaient d’accord pour introniser le prince Buu Lan, âgé de 10 ans, fils du roi Duc Duc.


Selon les rumeurs, le choix du prince Buu Lan était en quelque sorte décidé par Diep Van Cuong, mari de la tante du prince Buu Lan, princesse Thien Niem. Si c’était vrai, il s’agissait donc d’un arrangement prédestiné.

On racontait souvent l’anecdote de l’avènement du prince Buu Lan. Dans le Registre généalogique de la famille Nguyen Phuc, on peut lire :


“ À la mort du roi Dong Khanh, les ministres du Conseil Secret n’osaient pas décider le choix du successeur. Ils allèrent tous consulter le résident supérieur. M. Diep Van Cuong travaillait en ce moment au bureau du résident. Un ministre demanda : “ À l’heure actuelle, le roi Dong Khanh n’est plus. A votre avis, qui pourrons-nous choisir comme successeur ?”. Cette phrase était traduite par Diep Van Cuong : “ À l’heure actuelle, le roi Dong Khanh n’est plus. Les reines des Deux-Palais et le Conseil Secret se sont mis d’accord pour introniser le prince Buu Lan. Quel est votre avis ?”. Le résident supérieur répondit : “ Si les reines des Deux-Palais et le Conseil Secret sont d’accord pour choisir le prince Buu Lan, je l’approuve moi aussi.” Et voici ce que Diep Van Cuong a traduit :“ À mon avis, ce serait mieux de choisir le prince Buu Lan." ” (1)


Après cette entrevue, le Conseil Secret intronisa le prince Buu Lan.

Le prince Buu Lan était le fils du roi Duc Duc et de la reine Tu Minh de la famille Phan. Lorsque le roi Duc Duc fut tué, le prince venait vivre avec sa mère chez sa famille maternelle. À l’avènement du roi Dong Khanh, il accompagna sa mère à la résidence Duc Duc. Bien qu’encore très jeune, le prince Buu Lan comprenait bien la situation de son père. Il se montrait toujours prudent. Jusqu’au jour où il fut choisi comme successeur, il vivait dans la maison de culte avec sa mère dans la pauvreté. C’était la fin de l’année. La reine Tu Minh était occupée à préparer le Têt dehors. Le prince Buu Lan s’amusait dans le voisinage lorsque les messagers de la cour arrivèrent le rencontrer. À 10 ans, le prince semblait plus mûri que les enfants de son âge. Voyant les mandarins avec un palanquin, il prit peur en demandant : “ Pourquoi venez-vous ici ? Vous m’arrêtez pour me punir ? Faites ce que vous voulez, mais attendez jusqu'à ce que ma mère revienne.”


La reine Tu Minh rentra à la maison. Elle se mit à pleurer quand les mandarins avaient exprimé la volonté d’emmener le prince à la cour pour devenir roi. Elle ne pouvait pas oublier l’image du roi Duc Duc, son mari, ni les morts tragiques des rois Hiep Hoa, Kien Phuc. C’est pourquoi elle s’inquiétait beaucoup de savoir que son fils serait intronisé. Les mandarins lui expliquèrent que ce choix avait été fait avec l’approbation des reines des Deux-Palais, du Conseil Secret, du résident supérieur français. Alors elle se tranquillisait un peu mais elle palpitait de peur en pensant à ce qui pourrait arriver à son fils. Et voilà le prince introduit à la Cité Impériale pour l’intronisation.



L’AVÈNEMENT DU ROI THANH THAI


Le 2e jour du 1er mois de l’année du Buffle ( 2 février 1889 ), au Palais de la Suprême Harmonie, la cour célébra officiellement l’intronisation du prince Buu Lan, avec le nom de règne de Thanh Thai.

Dès 3 heures du matin, le Palais de la Suprême Harmonie resplendissait déjà de fleurs et de lanternes. Les mandarins, vêtus de costumes des grandes audiences, se mettaient en deux rangs dans la cour devant la Résidence, selon leur degré, les civils à gauche, les militaires à droite.


Le matin du 2e jour du Têt de l’année du Buffle, la cérémonie d’intronisation commença. Le roi Thanh Thai, vêtu du manteau royal, d’une coiffure aux neuf dragons, portant une ceinture de jade, une tablette de jade à la main, se tenait droit sur le trône. À 6 heures précises, la délégation française introduite par le Résident Supérieur de Trung Ky ( région centrale ) Rheinart, représentant du gouvernement français, entra par la porte principale de Ngo Mon. Arrivés à la cour du Palais de la Suprême Harmonie, ils étaient accueillis par le roi Thanh Thai qui venait de descendre de son trône. Un mandarin eunuque, un éventail à la main, suivit le roi. Bien qu’âgé seulement de 10 ans, le roi semblait déjà correct, on dirait un jeune homme. L’eunuque agita son éventail en soulevant le pan du manteau royal car le roi marchait avec difficulté.


Le roi Thanh Thai s’approcha du résident Rheinart, lui serra la main. Rheinart fit un discours au nom du gouvernement français. Le roi descendit du trône, écouta et fit le discours de réponse d’une voix claire qui résonnait dans toute la salle. La cérémonie continua, le roi revint s’asseoir sur le trône. La délégation française se mettait à l’écart pendant que les mandarins vinrent présenter au roi les souhaits. Après quoi, les mandarins s’agenouillaient en écoutant la lecture de l’acte d’investiture faite par un mandarin. Le texte parlait des exploits des rois antérieurs, puis des raisons pour lesquelles on a choisi le roi. Ensuite on souhaitait que le roi continuât bien l’œuvre d’administrer le pays en conservant les bonnes relations avec les Français pour apporter du bonheur au peuple. Après avoir écouté tout cela, les mandarins firent cinq prosternations et se mettaient debout aux deux côtés de la cour. Un mandarin du Ministère des Rites demanda au roi de proclamer l’ordonnance de faveur et d’utiliser le sceau monarchique. Le roi réalisa ce qu’on lui demanda.La cérémonie prit fin. Rheinart et la délégation français partirent. Le roi alla au palais Can Chanh en palanquin.



UNE ÉTRANGE MANIÈRE

DE CHOISIR UNE ÉPOUSE DU ROI THANH THAI



“À Kim Long tant de jolies filles font si bonne figure

Que, par amour, Sa Majesté y va à l’aventure. »


Selon les rumeurs, ces deux vers étaient écrits par le roi Thanh Thai après une promenade à Kim Long au cours de laquelle il tomba amoureux d’une jeune fille pour la fréquenter souvent après. Il s’agissait de la fille du grand mandarin Nguyen Huu Do, Mlle Nga. Ces deux vers étaient une plaisanterie du roi avec la “ jolie fille à bonne figure” qui, dit-on, serait amenée au palais royal en !895 et qui serait nommée Huyen phi (épouse du second rang ). Le roi aimait voyager incognito hors de la citadelle. Déguisé en étudiant, il allait visiter les beaux sites. Un jour , avec ses confidents, le roi sortit par la porte Nha Do puis arriva à Kim Long rendre visite à “ la belle”. De retour, le roi et sa suite passeørent par l’embarcadère Ke Van. À peine arrivé à la rive il se sentait fasciné devant la rameuse charmante. De nature romantique, le roi décida de rentrer au palais en barque, ayant ainsi l’occasion de bavarder avec la belle rameuse. La barque venait de quitter la rive en direction de Bach Ho, le roi demanda à la jeune fille en plaisantant : “ Ô jeune fille, voulez-vous épouser le roi ?”.

Ne sachant pas que c’était le roi lui-même, la jeune fille répondit d’un ton mi-plaisant, mi-sérieux : “ Je veux bien.”


Et le roi galant se leva en prenant la main de la fille et la fit asseoir à la poupe de la barque. Il prit la rame, faire avancer la barque vers l’embarcadère Nghinh Luong en face du Pavillon Phu Van. La barque accosta, le roi ordonna d’amener la fille au palais selon ses vœux. Cette attitude étrange du roi étonnait trop ses gardes, tandis que la jeune fille, elle n’avait pas le temps de prendre une réaction.



LE ROI THANH THAI

ET LE RÉSIDENT SUPÉRIEUR LEVECQUE


A mesure qu’il grandit, le roi Thanh Thai avait de la haine contre les Français. Au cours de ses voyages à l’extérieur de la citadelle, il pouvait comprendre les sentiments du peuple à l’égard de la cour et des Français. Les habitants lui révélaient souvent les actes brutaux et méchants des Français. Ses réactions, quoique passives, causèrent des problèmes au résident supérieur. Même les mandarins de la cour pensaient parfois que le roi était atteint d’une maladie mentale, ils demandaient aux reines des Deux-Palais de l’envoyer se reposer au lac Tinh Tam. Pendant les jours passés ici, le roi se sentait plus à l’aise, détaché de toute contrainte qu’il avait subie au Palais Can Chanh. En 1897, commença la construction du pont Trang Tien enjambant la Rivière des Parfums. Le travail, entrepris par la Compagnie Eiffel, durait deux ans. En 1990, à son inaguration, le pont fut nommé Pont Thanh Thai. Voici une anecdote qu’on racontait souvent. Le jour où l’on posa la première pierre avant de commencer les fondations, le roi Thanh Thai et le résident supérieur français Levecque étaient tous les deux présents. Après la cérémonie, Levecque dit au roi :


“ Quand ce pont sera rompu, le Protectorat vous rendra l’Annam, Sire.”


Avec cette plaisanterie, le résident supérieur voulait encore se vanter de la solidité du pont contruit par les Français. Aucune force ne saurait rompre ce pont. Or, en l’année du Dragon ( 1904 ), une tempête violente ravagea la citadelle de Hué et souffla quatre travées du pont dans la Rivière des Parfums. Quelques jours après, le résident Levecque fut invité à un banquet dans la Cité Impériale. Le roi Thanh Thai lui serra la main en demandant :


- Le pont a été rompu, alors, Monsieur ?


Le résident supérieur pâlit, étonné de la mémoire du roi. Il détourna la question en s’enquérant de la santé du roi. À partir de ce moment, Levecque avait de l’antipathie pour ce roi “toqué”.



LE ROI THANH THAI ET LES SOLDATS FEMMES


Le roi considéré comme “ toqué” avait fait des actions qu’on prenait pour étranges, fantaisistes : Il a formé mystérieusement, avec des confidents, un groupe de femmes soldats dans la Cité Pourpre Interdite à l’insu du Conseil Secret. Les contemporains interprétaient ce fait de deux façons . Les uns croyaient que le roi aimait toujours la beauté féminine, qu’il voulait choisir lui-même des concubines sans que les mandarins le sussent. D’ailleurs, le roi était de nature capricieuse, le fait de former un groupe de femmes soldats ne reflétait que sa “ fantasie”, sa “folie”. Les autres comprenaient d’une manière différente. Ils savaient que le roi voyageait souvent incognito, déguisé en homme du peuple, qu’il détestait les Français et les mandarins pro-français. Une telle formation, pensaient-ils, se faisait en attendant le moment d’agir. La deuxième interprétation semblait plus véridique. D’après les rumeurs, tout cela se passait en secret. D’abord, le roi envoya des confidents dans les villages environnants de Kim Long prendre contact avec des familles et des filles à sélectionner. Si celles-ci étaient d’accord, il fit jouer une scène “d’enlèvement” pour éviter la surveillance des agents de sûreté.


Chaque fois, 50 jeunes filles étaient sélectionnées. Entrées dans la cour, elles portaient des vêtements spéciaux. Le jour, elles se faisaient marchandes dans un petit marché dans la Cité Impériale. La nuit, elles apprenaient des arts martiaux. Quand elles étaient assez compétentes, on les renvoya en secret à leur famille et une autre sélection de 50 jeunes filles recommençait. De cette façon, le groupe comprenait toujours 50 femmes soldats mais en réalité l’effectif était beaucoup plus nombreux. Pourtant tout secret devrait être révélé. Après un certain temps, le Conseil Secret soupçonna et entreprit des investigations. Un jour, un groupe de soldats faisant la patrouille à la porte Huu découvrirent la relève des anciennes et nouvelles filles. Ainsi toute l’histoire était-elle dévoilée. À partir de ce jour, l’activité des femmes soldats fut interdite.

Levecque savait profiter de cette action du roi. Il rapporta au Gouverneur Général Français à Saigon et au Ministère des Colonies en France que le roi était fou.



LES JOURS D’EXIL


En 1906, les contradictions entre le roi et le Conseil Secret ainsi que le Bureau du Résident supérieur devenaient de plus en plus graves. Le résident savait la tendance d’opposition du roi mais il n’avait aucune raison valable pour le limoger sauf qu’il le taxait de folie. Il discutait avec le Conseil Secret pour priver le roi peu à peu de ses droits. Il avait dans la main un poème écrit par le roi en 1902 lors de son voyage dans le Nord. Le contenu du poème montrait que le roi avait la volonté de vengeance, surtout dans les deux derniers vers. Voici le texte original en chinois classique :


Kỷ độ tang thương kỷ độ kinh

Nhất phiên hồi thú nhất phiên tình

Ngưu hồ dĩ biến tam triều cuộc

Hổ động không dư bách chiến thành.

Nùng lĩnh phù vân kim cố sắc

Nhị hà lưu thủy khốc ca thanh

Cầm hồ đoạt sáo nhân hà tại

Thùy vị giang sơn tấy bất bình.



Que de vicissitudes ont causé bien des peurs

En regardant en arrière on se sent frappé de douleurs

Le Lac du Buffle a vu trois règnes se succéder

La Grotte du Tigre résonne encore des chants passés

Les nuages couvrent la montagne d’en haut

Les sons tristes se font entendre du cours d’eau

Où peut-on trouver quelqu’un de talentueux

Pour libérer la patrie des liens malheureux ? (2)



En juillet 1907, Levecque communiqua au roi Thanh Thai : “ Désormais le roi ne peut pas sortir de la Citadelle, toutes les affaires sont réglées par le Conseil des Ministres.”

Ainsi le roi fut-il privé de ses pouvoirs et astreint à une résidence surveillée. Pour légaliser cette décision, le Bureau du Résident Supérieur et le Conseil de Régence ( un conseil qui venait d’être formé à la place du Conseil des Ministres ) proclamèrent un communiqué au peuple : “ Le roi Thanh Thai est fou, au profit des intérêts du pays, les gouvernements vietnamien et français décident son abdication et l’intronisation d’un nouveau roi.”

En septembre 1907, les grands mandarins entrèrent au Palais Can Thanh présenter un placet avec la signature de presque tous les dignitaires de la cour, joint à “l’ ordonnance d’abdication” rédigée par eux-mêmes. Le roi lut l’ordonnance d’abdication en riant du bout des lèvres. D’un geste comique, il y inscrivit “ Approuvé ” puis jeta la plume avant d’entrer à l’intérieur du palais, laissant les mandarins qui le suivaient des yeux dépaysés.

Une semaine après, le roi fut escorté à Saigon et mis sous surveillance à Vung Tau jusqu’en 1916, date où la Première Guerre Mondiale arriva à la phase décisive, il fut déporté à l’île Réunion ( en Afrique ) avec son fils – le roi Duy Tan.

Après 40 ans en exil, en mai 1947, il était permis de rentrer au Vietnam et mis en surveillance à Saigon jusqu’au mois de mars 1954, date de sa mort à l’âge de 76 ans. Il était enterré à Hué.



________________________________________________________________

(1) Registre généalogique de la famille Nguyen Phuc, p. 297

(2) Le texte original en chinois classique et la traduction ( vietnamienne )

sont inscrits dans le Registre généalogique de la famille Nguyen Phuc.




Traduit du vietnamien

NHÀ NGUYỄN – Chín chúa mười ba vua – THI LONG




Aucun commentaire: