( 1840 – 1847 )
À la mort du roi Minh Mang, d’après les recommandations léguées, son fils aîné Prince Nguyen Phuc Tuyen, alias Mien Tong, né en 1807, accéda au trône avec le nom de règne de Thieu Tri. Le nouveau roi était doux, modeste et diligent, mais pas dynamique comme son père. Il continua l’administration de son prédécesseur sans aucun changement. Sous son règne, les Occidentaux, en particulier, les vaisseaux de guerre, venaient souvent harceler notre pays ou intervenir dans nos affaires intérieures, avec la progagation du catholicisme, par exemple. Ceci le poussa à décider vers ses derniers jours l’interdiction rigoureuse de cette religion . Depuis toujours il menait la vie d’un lettré confucéen respectant avant tout le Bien. Étant un bouddhiste fervent, il fit construire, devant la pagode Thien Mu, en signe de reconnaissance à l’égard de sa grand-mère – Reine Thuan Thien -, une tour à 7 étages. Cette tour, de 21,28 m de haut, en forme d’une fleur de lotus épanouie, s’appelait d’abord Tu Nhan puis Phuoc Duyen. Il fit construire cette tour pour souhaiter la longévité à sa grand-mère. Il fit bâtir aussi la pagode Dieu De sur l’emplacement de l’ancienne résidence de son arrière-grand-père pour rappeler aux habitants de faire du bien.
LE ROI POÈTE
Le roi Thieu Tri était aussi, sinon plus, compétent en littérature que son père. Ayant une âme sensible, il était souvent touché devant la nature et composait des vers partout où il allait. D’après Annales de la cour nationale et Chroniques du Dai Nam, pour se donner de l’inspiration, il fit détruire le jardin Thu Quang et confia à Ton That Nghi et Hoang Van Cuu la construction du jardin Co Ha avec les matériaux de l’ancien jardin. C’était un jardin magnifique dans la Cité Impériale. Il choisit des noms donnés à divers bâtiments du jardin. Au nord, c’était le Pavillon de Contemplation, à l’ouest, le Promenoir intime, au sud, la Résidence littéraire, à l’est, la Bibliothèque de Clairvoyance. Au milieu, c’était le Pavillon Resplendissant, il y avait aussi le Lac de Lumière, le Pont de Lionceau d’Or, le Mont de Sérénité. Le roi venait souvent prendre du frais ou composer des vers dans ce jardin. Parfois il y emmenait les princes et leur expliquait l’histoire et la littérature. Un jour, il fit venir les princes du sang et les mandarins de haut degré pour écrire des poèmes sous l’inspiration de la contemplation des paysages. Il leur dit : On est au nombre de 18 à improviser des vers, comme les 18 lettrés de la dynastie des T’ang qui avaient l’honneur de monter au Monde des Fées. Dans son poème, on pouvait lire ce distique :
“ Tán trị thần lâm sum hội thượng
Năng thi tử đệ bán diên trung”
( Le génie littéraire intervient au milieu du festin, le frère poète occupe une demi-ligne )
Puis il fit donner à tout le monde de l’encre, du papier, un porte – plume et une soucoupe à encre.(1)
Dans ce jardin même, le roi a fait deux poèmes très difficiles à déchiffrer appelés poèmes à la fois anacycliques et concaténés. C’étaient deux poèmes en chinois classique intitulés Paysages de pluie et Soirée poétique au jardin Phuoc Vien. Tous les deux ne s’écrivaient pas comme d’ordinaire, mais présentés en cinq cercles concentriques dont chacun renfermait un nombre de mots. Chaque poème avait 56 mots, correspondant à la forme de “huit vers formés de sept mots chacun”. Les panneaux incrustés de nacre sur lesquels on inscrivit ces deux poèmes sont suspendus à présent au Temple Long An, actuellement Musée des Objets anciens. C’était un “ dédale inextricable” pour lequel il engagea un pari aux personnes cultivées. Pourtant le roi a indiqué la façon de les lire : “ lire à la forme anacyclique et concaténée, poèmes à quatre rimes, on peut compter soixante-quatre poèmes de sept mots ou cinq mots par vers. ” D’après Dr Ho Dac Duy, après plus de 150 ans, personne ne pouvait lire entièrement les deux poèmes selon les indications du roi Thieu Tri. Le musée de Hué a eu recours à des lettrés cultivés , certains ont pu lire quelques textes… un Français du nom de Pierre Daudin a déchiffré 12 poèmes de huit vers chacun et les a publiés dans la revue de la Société de Recherches Indochinoises sous le titre de “Poèmes anacycliques de l’empereur Thieu Tri”. Toujours d’après Dr. Ho Dac Duy, “ le dédale du roi Thieu Tri est grandiose comme les montagnes, comme les rivières, comme les nuages, comme la pluie, comme le soleil, comme le vent, doux et léger comme une barque de pêche, immense comme les vagues poussant le courant d’eau, resplendissant comme les fleurs embellissant les tissus, doux et poétique comme les silhouettes à travers les stores au clair de lune… ” (2) Et Dr Duy a réussi à déchiffrer, avec non seulement 64 textes comme le roi l’avait indiqué mais de 80 à 90 textes s’il était permis de changer quelques mots…
En outre, dans son recueil Ngu che thi tap ( Collection de poèmes du roi), le roi a classifié les 20 beaux sites de la capitale et les chanta en 20 poèmes. En voici les titres.
1. Tung Minh Vien chieu. ( Clair de lune au jardin Minh Vien ).
2. Vinh Thieu Phuong van. ( Contemplation des fleurs dans le jardin Thieu Phuong ).
3. Tinh Ho ha hung ( Promenade estivale au lac Tinh ).
4. Thu uyen xuan quang ( Lueur printanière dans le jardin Thu Quang)
5. Ngu Vien dac nguyet. ( Le jardin royal au clair de lune ).
6. Cao cac sinh luong ( Pavillon élevé au vent frais ).
7. Truong Minh thuy dieu ( Partie de pêche au palais Truong Minh ).
8. Thuong Mau quan canh(Spectacle de labour au jardin Thuong Mau).
9. Van Son thang tich ( Beaux paysages du mont Tuy Van ).
10. Thuan hai quy pham ( Rentrée des voiles à l’estuaire Thuan ).
11. Huong giang hieu phiem ( En barque sur la rivière des Parfums le matin ).
12. Binh lanh dang cao ( Montée au mont Ngu ).
13. Linh huu khanh huong ( Sons de gong à l’auberge Linh Huu ).
14. Thien Mu chung thanh. ( Sons de cloche à la pagode Thien Mu ).
15. Trach nguyen tieu loc ( Cris des biches à la source Trach )
16. Hai nhi quan ngu ( Vue des poissons au marais Hai nhi ).
17. Giac hoang phan ngu ( Voix des prières à la pagode Giac Hoang ).
18. Huynh vu thu thanh ( Voix de lecture à l’université nationale )
19. Dong Lam dac dieu ( Chasse matinale aux oiseaux )
20. Tay lanh thang hoang ( Eau chaude au mont d’ouest ).
Il a légué à la postérité rien d’autre que des recueils de poèmes. Il était un vrai poète, devenu roi peut-être à contre cœur. Par cette raison on pouvait constater qu’il n’avait réalisé aucun changement. Outre les affaires qu’il devait nécessairement régler, il occupait tout son temps à faire des vers. Durant son voyage dans le nord, il composait d’un trait 173 poèmes de tout genre. En regardant l’entraînement des troupes marines à l’estuaire Thuan An, il en fit aussi sept décrivant les paysages puis il les montra aux mandarins. À la nouvelle de la victoire de nos troupes, il fit aussi 129 poèmes de circonstance. De plus, pour donner des leçons aux princes et aux sujets, il a rédigé 9 textes “d’enseignements du roi “ en vers.
LE JUGEMENT DE HONG BAO
Nguyen Phuc Hong Bao était le fils aîné du roi Thieu Tri avec la concubine Dinh Thi Hanh et non avec l’épouse officielle Pham Thi Hang. Le roi ne l’aimait pas beaucoup car il se passionnait pour les jeux d’argent sans penser à l’étude.
Au 1er mois de l’année du Tigre, le roi projeta de faire un voyage dans le nord mais il hésita dans le choix d’un prince à qui il confierait le règlement des affaires. D’habitude, en l’absence du roi, le prince aîné s’occupait de toutes les affaires de la cour au nom du roi. Cependant cette fois-ci le roi ne voulait choisir Hong Bao. Il savait bien son caractère. Bien des fois il avait demandé aux professeurs de son fils, les mandarins Ta Quang Cu, Ha Duy Phien, Ton That Bach, de se montrer sévères mais ceux-ci n’arrivaient pas à ébranler le prince. Même le roi Thieu Tri lui disait souvent : “ Ton savoir est limité, il faut demander aux professeurs en tout cas. Tout le monde doit suivre les bons conseils, d’autant plus ce sont tes professeurs, pourquoi tu leur désobéis ? Sois respectueux, fais des efforts pour devenir un homme de bien”.
Il s’inquiétait beaucoup en pensant à son futur successeur. Avant de partir dans le nord, il fit appeler le mandarin Truong Dang Que et lui dit : “ La capitale est un lieu important, la responsabilité de s’occuper des affaires nationales n’est pas légère. Hong Bao, plus âgé mais inappliqué et inculte, ne pouvait pas accomplir le devoir, tandis que le second prince Hong Nham était intelligent par nature. Je veux confier à Hong Nham la garde de la capitale. Qu’en pensez-vous ?” Truong Dang Que lui répondit : “ Les parents seuls peuvent connaître leurs enfants. Que Votre Majesté prenne la décision, je n’ose pas donner mon avis”. Quand il alla présenter ses hommages à la Reine-Mère, le roi lui exposa aussi le problème mais la reine-mère se montrait mécontente. Elle dit qu’il ne fallait pas changer les règlements des rois prédécesseurs. Enfin le roi emmena le second prince dans le nord, Hong Bao restant à la capitale.
Les moments de loisir, le roi Thieu Tri réunissait souvent ses enfants pour s’amuser ensemble. Il profitait aussi de l’occasion pour mettre les talents de ses enfants à l’épreuve. Un jour, à la fête du Nouvel An, un ambassadeur de Chine vint présenter ses hommages au roi. Après, le roi réunit ses enfants et leur donna une phrase en attendant la réponse formant des sentences parallèles :
Bắc sứ lai triều
( L’ambassadeur de Chine vient à la cour ).
Sans réfléchir, le prince Hong Bao fit :
Tây Sơn phục quốc
( Les frères de Tay Son reconquièrent le pays ).
Le roi se montrait mécontent mais, comme la répartie était correcte, il sourit en disant : “ Si les Tay Son reconquièrent le pays, nous n’aurons plus de terre pour notre enterrement, comment pourras-tu monter au trône ?” Hong Bao était très inquiet d’entendre ces mots.
En 1846, Hong Bao eut un fils, le roi s’en réjouit beaucoup car la “ coexistence de cinq générations sous le même toit ” était rare. Le roi fit fêter en grande pompe cet événement. Prenant cette attitude comme une garantie pour son accès au trône, Hong Bao ne redoutait plus rien, il s’adonnait aux jeux d’argent et se montrait de plus en plus orgueilleux. Le roi était enfin au courant de tout cela.
En 1847, le roi était indisposé. Il fit inviter les mandarins Truong Dang Que, Vo Van Giai, Nguyen Tri Phuong, Lam Duy Hiep et leur dit à part : “ Je continue l’œuvre de mes ancêtres depuis 7 ans. Jour et nuit je mets du soin à remplir mon devoir sans penser aux loisirs. Ces jours-ci, je ne me sens pas bien et maintenant je suis très fatigué. L’œuvre de nos pères m’a été confiée, il me faut choisir un successeur pour préserver le royaume. Parmi mes fils, Hong Bao est l’aîné, mais il est le fils d’une concubine, d’ailleurs, il est ignorant, trop absorbé dans l’amusement. Il ne peut pas me succéder. Mon second fils, le duc Phuoc Tuy, est intelligent et diligent comme moi. Il mérite d’être roi successeur. L’autre jour j’ai signé mon testament. Il faut que vous le respectiez. Ne contrariez pas mes volontés.” (3)
Les mandarins pleurèrent en se prosternant. Ils firent appeler le second prince Hong Nham et lui remirent le sceau dynastique et l’épée. Apprenant cette nouvelle, Hong Bao se mit en colère et entra dans le palais avec des gardes de corps. Un mandarin du Ministère de l’Intérieur du nom de Pham le laissa entrer seul. Quand Hong Bao se tenait près du roi, celui-ci était déjà trop faible. Il dit à son fils : “ J’aurais dû te laisser le trône. Je t’ai si souvent donné des conseils mais tu ne te corriges pas. Tu continues à t’adonner aux jeux et aux distractions sans jamais penser à l’étude. J’étais malade ces jours-ci mais tu n’y fais même pas attention. L’administration d’un pays, c’est quelque chose de très important, je ne peux pas te la confier”. Hong Bao se prosterna en pleurant mais le roi tourna le visage. Le vice-ministre Pham The Lich et le mandarin Vu Van Giai introduisirent Hong Bao au harem et l’y retinrent. Quelques jours après, le roi mourut au palais de Can Thanh. D’après ses recommandations léguées, les princes du Sang et les grands mandarins proclamèrent son testament selon lequel, le duc Phuoc Tuy ou prince Nguyen Phuc Hong Nham fut intronisé avec le nom de règne de Tu Duc. Le nouveau roi demanda aux représentants du Conseil de la famille royale de signer la proclamation, seul Hong Bao refusa de le faire. Il se montrait fâché au point de rendre le sang par la bouche. Enfin après les explications de la cour, il consentit à donner sa signature. À partir de ce jour, l’avènement du roi Tu Duc était le motif des soupçons généraux et du refroidissement de l’affection fraternelle entre le nouveau roi et Hong Bao. Mécontent de ce détrônement, Hong Bao nourrissait toujours l’ambition de reprendre le trône. De connivence avec quelques mandarins ou membres de la famille royale qui n’aimaient pas le roi ou qui étaient reprimandés par lui, Bao prépara un renversement. Le complot révélé, Hong Bao fut emprisonné et condamné à mort. Le roi lui fit grâce de la peine de mort mais il était toujours interné. On ne sait pas pourquoi il s’est étranglé dans la prison. La mort de Hong Bao restait un procès douteux.
(1) Annales de la cour nationale, p. 228
(2) Dr Ho Dac Duy, revue Actualités Littéraires no 8 – 1995.
(3) Annales de la cour royale, p. 238
Traduit du vietnamien
Texte original : Nhà Nguyễn, chín chúa, mười ba vua. THI LONG
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