jeudi 1 janvier 2009

LE ROI TU DUC ( 1847 – 1883 )





Le roi Tu Duc monta au trône dans une atmosphère pas très favorable. La cour se partageait en deux partis, l’un pour, l’autre contre. Les princes du Sang, les mandarins qui fréquentaient Hong Bao, ou bien pour consolider leur position, ou bien pour participer aux distractions et aux jeux organisés par Bao, se montraient mécontents. Le roi Tu Duc se rendit compte de la situation et s’en inquiétait beaucoup. Il sut qu’un incident aurait lieu dans la cour, mais, par sa douceur et par son amour fraternel, il ne voulait pas faire du scandale de peur de causer des problèmes à la famille et au pays.


UN ENFANT PIEUX ENVERS SES PARENTS


Il se montre très pieux envers sa mère, la reine Tu Du. D’habitude, il lui rend visite les jours pairs et tient une audience les jours impairs. Donc, dans un mois, 15 visites et 15 audiences, sauf en cas de voyage ou de maladie. Cette routine s’observait pendant 36 ans de son règne.

Lors de ses visites à la Reine-Mère, il lui rapportait n’importe quoi, affaires familiales ou nationales, anciennes ou récentes. Et la reine-mère connaissait bien l’histoire ainsi que l’actualité. Quand elle dit quelque chose d’intéressant, il le nota dans un carnet qu’il appelait Carnet de Conseils Maternels.

Un jour, au moment de loisir, il alla faire une partie de chasse au bois de Thuan Truc quand une inondation survint et il ne pouvait pas rentrer. Deux jours après ce serait l’anniversaire de la mort de son père. Impatiente, la reine Tu Du envoya le mandarin Nguyen Tri Phuong à sa rencontre. À mi-chemin, Nguyen Tri Phuong vit le bateau royal ramer lentement à l’encontre du courant d’eau. C’était seulement à la tombée de la nuit que le bateau royal arriva à la rive. Il s’empressa de venir, malgré la pluie, au palais demander des excuses. La Reine Mère Tu Du se retourna vers le rideau sans mot dire. Le roiù Tu Duc prit un fouet en rotin, le mit sur le canapé, et se coucha à plat ventre, attendant la punition. Un moment après, la reine Tu Du rejeta le fouet en disant : “C’est assez..Pas de punition. Mandarins et soldats ont subi tant de peines à cause de ce voyage en mauvais temps. Il faut les récompenser et revenir ici demain pour le culte.” Il se retira en se prosternant sans oublier de donner des récompenses aux accompagnateurs cette nuit même.(1)


UN ROI FÉRU DE POÉSIE ET MADRÉ


Le roi Tu Duc se ressemblait à son père par son amour pour la poésie, mais à la différence de son père, il faisait souvent des vers pour rigoler avec les mandarins. Ceux-ci étaient parfois confus en interprétant certains des poèmes du roi. Les mots sino-vietnamiens avaient souvent des prononciations analogues. Profitant de cette caractéristique, le roi bernait souvent ses mandarins. D’ailleurs, les mandarins, pensant toujours que les poèmes écrits par le roi devraient couvrir une signification profonde, se laissaient facilement rouler. Dans la Revue Orientale publiée en 1974, Lang Nhan Phung Tat Dac a raconté une anecdote à ce sujet. Un jour, le roi Tu Duc invita les mandarins au jardin Co Ha discuter de littérature. En cette occasion, il leur dicta un poème qu’il venait de composer et demanda aux mandarins d’en faire les commentaires. C’était un poème à forme fixe, ayant 4 vers formés de 7 syllabes chacun, dont le roi cacha le titre.


Tiêu hà tá hán khởi ư phong

Sấn nhập trùng vi nhiễu trướng trung

Bất luận huân tiêu phàn khoái lực

Hốt văn hàn tín tự tiêu không.


Si les sons correspondaient aux mots, en écoutant ces vers, tous les mandarins devraient penser que le roi voulait chanter les talents du Premier Dignitaire Tieu Ha qui avait supporté le Roi dans la fondation de la dynastie des Han chinois. On entendit les noms Tieu Ha (le personnage en question ), Phong c’était Phong Bai, la région où le roi se souleva contre les Tan, Phan Khoai, un général du roi, Han Tin, un autre général expert en art militaire qui avait aidé le roi à battre Hang Vu. Si ces interprétations étaient justes, il fallait comprendre le poème de cette façon :

Tieu Ha avait supporté le roi fondateur des Han dans le soulèvement à Phong Bai, il n’avait pas besoin de la force physique de Phan Khoai ( sans intelligence ). Il lui fallait seulement des gens comme Han Tin pour réussir.

Les mandarins continuaient à discuter en chantant le contenu profond et riche en idées du poème. Le roi Tu Duc ne faisait que sourire devant ces louanges. Enfin il leur montra le texte original : à la surprise de tous, le poème ne décrivit qu’un moustique !

Il s’est avéré que, en chinois classique, les mots pouvaient avoir un autre sens. D’après Lang Nhan, tieu voulait dire feuille de bananier, ha, lotus, ta : tomber, phong : abeille, phan khoai : enfumer, han tin : nouvelle du froid, etc..


Et Lang Nhan traduit le poème comme suit :


Il agite ses ailes sur les fleurs de lotus et les feuilles de bananier

Fourré dans les tentures et les rideaux il va tout importuner

Ce n’est pas la peine de l’enfumer

La froidure seule suffit à le chasser.


Une autre fois, il dit aux mandarins :“ Je viens de faire un poème de 4 vers. Je vais vous le lire pour que vous le copiez et le récitiez ”, et il ne donna pas le titre. Cette fois-ci, les mandarins se montraient plus prudents pour ne plus être dupés. Le roi lut :


Lâm vũ lâm ly lý lý đường

Minh minh bính chúc chiếu âm dương

Tri khu thướng lá công doanh quán,

Khứ thủ ly bì đắc kỷ cương.


Le roi dit qu’il s’agissait d’un poème très intéressant, mais comment l’écrire correctement ? Après de mûres réflexions, les mandarins n’arrivaient pas à le comprendre. Or, ce n’était que la description d’une partie de chasse aux grenouilles :


“ La pluie persistante rend glissant le chemin

à travers les buissons de prunier

La lumière des torches éclaire des endroits

d’où viennent des coassements

Parcourant ces endroits de long en large on a attrapé assez

pour en faire un chapelet

Décapitées et écorchées, elles remplissent suârement

plus d’un poêlon.”


Les poèmes ci-dessus montraient que le roi Tu Duc était un bon et talentueux poète. Il a appliqué intelligemment les caractéristiques du chinois classique aux heureux jeux de mots.


LE ROI TU DUC AVEC NGUYEN HAM NINH


Le roi Tu Duc était sans cesse tourmenté par le jugement de son frère Hong Bao. Celui-ci avait été emprisonné et condamné à mort pour avoir fait acte de rebelle. Par amour fraternel, le roi lui fit grâce de la peine de mort. Mais en 1854, Hong Bao s’est étranglé en prison. Cette mort était, dit-on, une intrigue du roi. On pense que devant la cour, le roi faisait semblant d’accorder une tolérance à son frère mais il chercha à l’“ assassiner” mystérieusement. Jusqu’à présent, personne ne sait si cette hypothèse était vraie ou fausse. Durant les 36 ans de son règne, le roi ne faisait rien de mal, et un souverain d’une bonté naturelle et d’une âme artiste comme lui ne pourrait jamais se servir d’une man°uvre. De plus, en tant que monarque avec tout le pouvoir dans les mains, il pouvait tout faire sans avoir besoin d’une ruse comme certains mandarins de l’époque le pensaient. Hong Bao s’est rebellé, son délit était clair. Il méritait bien la peine de mort et c’était une juste cause si on le tuait, or le roi l’ avait toléréù. La tolérance accordée, pourquoi l’assassiner car ses adversaires pourraient trouver dans cet acte un prétexte pour leur opposition ? Intelligent et débrouillard, le roi ne se ferait pas tomber dans le piège. Il se peut que Hong Bao se soit donné la mort en prison car, repenti de ses fautes, il ne voulait pas revoir sa famille. Il se peut aussi que les partisans de Hong Bao profitent de sa mort pour se lancer contre le roi Tu Duc. Cette visée se justifierait avec le soulèvement des “ pilons à chaux” mené par les frères Doan Trung et Doan Truc qui choisissaient Dinh Dao ( fils de Hong Bao ) comme chef. De toute façon, le roi Tu Duc devait perdre le boire et le manger par la mort de Hong Bao avec les critiques de la cour.

À l’occasion de la fête de longévité, le roi fit organiser un festin dans le palais royal. Il y invita des mandarins du haut degré parmi lesquels figurait Nguyen Ham Ninh, originaire de Quang Binh, célèbre par ses talents littéraires à qui Cao Ba Quat même témoignait des égards. En mangeant, le roi mordit par mégarde sa langue et s’en montrait souffrant. Il expliqua la situation puis demanda aux mandarins d’improviser chacun un poème ayant pour titre “ Les dents mordent la langue ” . Celui qui finit devrait lui montrer ces vers.C’était Nguyen Ham Ninh qui passa le premier au roi ce poème de quatre vers :


Sinh ngã chi sơ, nhữ vị sinh

Nhữ sinh chi hậu,ngã vi huynh

Bất tư công hưởng trân cam vị

Hà nhẫn tương vong cốt nhục tình.


Quand je viens au monde, tu n’es pas encore né

Te voilà en vie, je suis donc ton aîné

Au lieu de jouir ensemble du doux et du sucré

Pourquoi rompre les liens de fraternité ?


À la première lecture, le roi Tu Duc dit “ Excellent , c’est conforme au sujet donné”, mais après avoir lu et relu, il dit à Ninh :“ Votre poème est excellent, le style coulant, les idées profondes. Je vous donne en récompense un tael d’or pour chaque vers. Mais concernant la signification, je vous inflige une punition : un coup de fouet pour chaque mot”. Tout le monde peut comprendre que le roi punit Nguyen Ham Ninh pour avoir fait allusion à l’affaire entre le roi et Hong Bao à travers le sujet traité. On peut savoir aussi qu’il n’était point méchant. Quant à Nguyen Ham Ninh, après avoir entendu l’avis du roi, il se courba pour faire des prosternations en présentant ses excuses. À partir de ce jour, il était souvent invité au palais pour discuter de littérature avec le roi. D’après les documents d’histoire, les deux s’entendaient très bien.


CAO BA QUAT DANS LES YEUX DE TU DUC


En littérature, Sieu et Quat n’ont pas d’égaux depuis la dynastie des Han

En poésie, Tung et Tuy dépassent certainement les poètes des T’ang.


Ces deux vers étaient dédiés par le roi Tu Duc aux quatre poètes de son temps : Nguyen Van Sieu alias Phuong Dinh, Cao Ba Quat alias Chu Than, Mien Tham ou le Prince Tung Thien et Mien Trinh ou le Prince Tuy Ly.

Cao Ba Quat, originaire du village Phu Thi, district de Gia Lam, était le frère jumeau de Cao Ba Dat. À la différence de son frère, Quat était turbulent et orgueilleux. De l’époque où il était écolier, beaucoup de gens se montraient mécontents de son caractère. Dans le monde il y a 4 paniers de savoir, disait-il souvent. À lui seul en appartiennent deux, un à son frère Ba Dat et à son ami Nguyen Van Sieu, le dernier est partagé à tout le monde. Lors du voyage dans le nord du roi Minh Mang, bien qu’encore petit, il pouvait déjà convaincre le roi par son intelligence en donnant des réparties promptes. Le roi était fâché de son orgueil mais ne le punit pas. Peut-être c’était la capacité originale de Quat. S’il avait pu travailler avec un roi féru de poésie comme Tu Duc, sa vie aurait changé. Depuis que sa licence n’était pas reconnue par le ministère, Quat s’est montré très mécontent. Après, grâce aux présentations de ses amis, il a obtenu un poste modeste au Ministère des Rites. Pendant ce temps, il fréquentait les princes Tung Thien et Tuy Ly et se faisait remarquer par le roi.

En 1851, un messager chinois vint annoncer la mort du roi Qing. Au Ministère des Rites, le roi ordonna aux mandarins de faire chacun une paire de sentences parallèles. On choisirait les meilleures pour envoyer en Chine en signe de condoléances. Le choix fait, les mandarins proposèrent au roi d’inviter Cao Ba Quat à écrire les sentences car il était célèbre par sa belle écriture. Après avoir lu les phrases, Cao Ba Quat étendit le tissu sur la table et commença à écrire en se pinçant le nez. Étonnés de son attitude bizarre, les mandarins lui demandèrent pourquoi. Il leur répondit : “ Une telle œuvre mérite une telle façon d’écrire ”. À ces mots, les mandarins, blêmes de colère, les rapportèrent au roi. Fâché lui aussi, Tu Duc dit à Quat : “ Vous trouvez ces sentences mauvaises. À vous d’en faire d’autres. Si vous ne réussissez pas, vous méritez la décapitation.”. D’un air orgueilleux, Cao Ba Quat demanda une autre pièce d’étoffe sur laquelle il écrivit tout de suite :


Ất mật bát âm Đường bạc hải

Bi hào vạn lý Tống thâm sơn ”.

( Les sons de musique se taisent sur toutes les mers des T’ang,

Les cris de tristesse résonnent aux montagnes profondes des Song ).


C’était vraiment significatif et impeccable, le roi Tu Duc n’avait plus rien à lui reprocher.

Un autre jour, Tu Duc écrit deux sentences parallèles. Il les trouvait si bonnes qu’il fit suspendre au palais Can Chanh.


Tử năng thừa phụ nghiệp

Thần khả báo quân ân.

( Les enfants continuent l’œuvre du père

Les sujets reconnaissent les bienfaits du roi ).


Les mandarins de la cour faisaient des louanges, seul Cao Ba Quat remarqua avec ironie : “ C’est bien ça ! enfant et père, sujet et roi, tout est renversé ! ” On rapporta au roi les critiques de Quat. Le roi demanda des explications et Quat répondit : “ Les sentences de Votre Majesté écrites sur du papier vont très bien, mais si elles sont suspendues, je crains que ça ne convienne pas parce que le mot “ enfant “ précède le mot “ père ” ; le mot “ sujet “ précède le mot “ roi ” et voilà l’ordre père - enfant, roi - sujet renversé. Le roi lui dit de corriger. Quat prononça :


Quân ân, thần khả báo

Phụ nghiệp, tử năng thừa.

( Les bienfaits du roi, les sujets les reconnaissent,

L’œuvre du père, les enfants la continuent ).


Bien que fâché, le roi devait reconnaître le sens profond des phrases corrigées par Cao Ba Quat.


Une autre fois, le roi Tu Duc dit aux mandarins lors d’une audience qu’il avait fait en songe deux vers en chinois classique, dans chacun étaient insérés deux mots en langue nationale. Il les trouvait bons et en fit la dictée :


Viên trung oanh chuyển khề khà ngữ

Dã ngoại đào hoa lấm tấm khai.

( Dans le jardin traînent les chants du loriot

Dans les champs fleurissent çà et là des pêchers ).


C’était excellent certes, or Cao Ba Quat s’agenouilla et dit :

- Il s’agit des deux vers 3 et 4 d’un poème que j’ai entendu.

Frappé de stupeur, le roi lui demanda le texte entier que Quat improvisa pour lire tout de suite . Et dans chaque vers écrit en chinois classique il y a toujours deux mots en langue nationale :


Bảo mã tây phong huếch hoác lai

Huênh hoang nhân tự thác đề hồi.

Viên trung oanh chuyển khề khà ngữ,

Dã ngoại đào hoa lấm tấm khai.

Xuân nhật bất văn sương lộp độp

Thu thiên chỉ kiến vũ bài nhài

Khù khờ thi tứ đa nhân thức

Khệnh khạng tương lai vấn tú tài.


Les chevaux viennent, poussés par le vent d’ouest,

Les hommes rentrent, l’air fanfaron,

Dans le jardin traýnent les chants du loriot

Dans les champs fleurissent çà et là des pêchers.

On n’entend pas les gouttes de rosée tomber les jours de printemps

On ne voit que la pluie sous un ciel d’automne

Le niais récite un poème que l’on connaît déjà

Et il va interroger les hommes de lettres.


En effet, Cao Ba Quat a inventé ce poème en se moquant du roi, surtout avec les deux derniers vers. Mais le roi était très indulgent, sinon, Quat n’aurait plus la tête sur son cou. De toute façon, on ne sait pas si cette anecdote était véridique. Si oui, il faut chanter le roi Tu Duc, plutôt que Cao Ba Quat. Bien sur Quat avait la capacité de réfuter, mais dans la société féodale d’autrefois, aucun roi ne pardonnait ses actions. Avec une seule faute de prononcer un nom tabou, on est déjà interné, d’autant plus, on taquine le roi de front en pleine cour !


LE MAUSOLÉE KHIEM LANG

ET L’INSURRECTION DE LA CAPITALE.


Au 9e mois de l’année du Serpent ( 1864 ) , après avoir examiné la terre du village Duong Xuan Thuong, district de Huong Thuy, à environ 5km du sud de la citadelle de Hue, le roi Tu Duc était d’accord pour y construire son mausolée appelée Khiem Lang. La construction débuta en cette année pour achever en 1867, une assez longue période durant laquelle les soldats, trop fatigués, se plaignaient beaucoup. Profitant de la situation, les frères Doan Trung et Doan Tu Truc lancèrent les deux vers :


Quel est donc ce tombeau de Van Nien

Dont les murs sont faits des os de soldats et les fossés, du sang des habitants ?


D’autre part, le mandarin Nguyen Van Chat était trop sévère dans le rôle de contremaýtre. Il frappait les soldats, soustrayait leur portion sans améliorer les conditions de travail. Plusieurs accidents mortels avaient lieu. C’est pourquoi la plupart des soldats répondirent volontairement à l’appel d’insurrection des frères Doan Trung qui s’étaient alliés avec Truong Trong Hoa, Pham Luong sous prétexte de soutenir Dinh Dao. ( Dinh Dao ou Nguyen Phuc Ung Dao, fils de Hong Bao, était obligé de renier son nom de famille pour se faire appeler Dinh, en raison du délit de son père Hong Bao, qui, lui, était appelé Dinh Ngoc ).(2 ) Doan Truc était d’intelligence avec Ton That Cuc. Son frère Doan Huu Ai entretenait des liaisons secrètes avec le bonze de la pagode Long Quang pour rallier des insurgés à la pagode Phap Van. Le 8 aouât 1866, Doan Trung déclencha le soulèvement, arrêta le chef de cabinet Nguyen Van Xa. Plus de 1000 soldats sur le chantier de construction avec des pilons ( servant à égruger de la chaux ) traversèrent la rivière en direction de la citadelle . Avec la complicité de Ton That Cuc, tous pouvaient pénétrer à l’intérieur de la citadelle. Ils prirent le dépôt d’armes et de munitions. Les chefs du corps de garde Nguyen Thanh et Pham Viet Trung se défendèrent énergiquement en fermant les portes mais ils n’arrivèrent pas à repousser les troupes de Truc. Nguyen Thanh était blessé, les soldats de Doan Trung avancèrent à l’encontre de la défense de l’officier Ho Oai qui avait du temps à appeler la garde royale. Les soldats insurgés, ayant peur de Ho Oai, se démembrèrent, il n’en restait qu’une trentaine. Ho Oai fonça sur Doan Truc et lui donna un coup d’épée. Truc tomba contre terre. Enfin tous étaient capturés. Dinh Dao fut condamné au supplice de la potence, Ton That Cuc s’est suicidé. Tous les mandarins qui avaient participé à la construction du mausolée étaient révoqués ou rétrogradés. Nguyen Van Chat était arrêté en attendant le jugement. Cette insurrection avait pour complices les soldats du mausolée qui se servaient des pilons. C’est pourquoi on les appelait “ les insurgés aux pilons à chaux “. Le soulèvement a laissé une amertume dans l’âme du roi jusqu’à ses derniers jours.


LE ROI TU DUC ET LE PRINCE TUNG THIEN


Devant la tombe du Prince Tung Thien, le roi Tu Duc ne put contenir son émotion en s’écriant :

“ Pourquoi le plus grand poète s’empresse de partir sans revenir ? ”

Les lamentations du roi exprimaient bien son respect à l’égard d’un poète célèbre de l’époque. Le prince Tung Thien ou Mien Tham, alias Trong Uyen, pseudonyme Thuong Son, était le 10e fils du roi Minh Mang. De son vivant, il était non seulement un grand poète, le précurseur du Cénacle littéraire Mac Van à la capitale, mais aussi un grand maître aux connaissances profondes et vastes, un expert en théâtre classique. Pour le roi Tu Duc, c’était le Prince Tung Thien qui l’avait guidé dans la prosodie. Et le roi l’éleva au premier rang des poètes qui “ dépassa même ceux de la dynastie chinoise des T’ang.” Une chose particulière chez Mien Tham, c’est qu’il n’attachait pas trop d’importance aux richesses, bien qu’il fût un prince vivant dans les résidences magnifiques et splendides. Au lieu de passer son temps dans les palais, il aimait visiter les campagnes, cherchant à défendre les droits des paysans pauvres et de basse condition. Il se servait des vers pour exprimer leurs souffrances. Du temps où son père Minh Mang était encore au trône, il n’avait pas hésité de lui présenter des écrits ( “ Famille des pauvres ”, “ Plaintes des exilés ”, “ Vendeurs de bambou ” ), attirant l’attention du roi sur l’oppression et l’exploitation des mandarins régionaux, au détriment des paysans qui étaient réduits à une vie misérable sans issue.


Une fois, à l’occasion de la fête de longévité, le roi convoqua les princes du sang et les mandarins de haut degré pour prendre le repas et écouter le roi parler de la situation du pays. Le festin fini, après avoir présenté les affaires nationales et la situation du pays, le roi – qui aimait toujours faire et déclamer des vers – proposa une séance de déclamation des poèmes : les mandarins et les proches présents furent invités à déclamer des poèmes écrits par eux-mêmes. Alors, le Prince Tung Thien se leva et relut le poème des “ Vendeurs de bambou ” . Le texte parlait de la souffrance des pauvres qui étaient obligés d’aller couper des bambous dans la forêt pour les vendre après. Ne pouvant pas les vendre, ils étaient encore battus méchamment par les mandarins de connivence avec les hobereaux. Il s’exprima encore après la lecture : “ Au cours de l’audience royale, j’ai entendu Votre Majesté parler de la vie en paix de notre pays. Dans un pays en paix, pourquoi le bas peuple souffrait-il encore de l’oppression des mandarins qui leur causaient tant de peines ? J’ose exposer clairement le problème à Votre Majesté. ” Le roi Tu Duc a entendu le poème qu’il avait su par c°ur en son enfance. Seulement, il se fâchait beaucoup d’être interpellé et réfuté ainsi, en pleine cour. Effrayé, tout le monde jeta des regards craintifs vers le prince Tung Thien qui se montrait indifférent pourtant.


En 1870, âgé alors de 52 ans, un jour il était fatigué. Sentant sa mort prochaine, il dit à son fils Hong Phi de lui apporter du papier et il écrit un “placet légué” présenté au roi avec une expression très modeste dans le but de donner des conseils au roi :


Je soussigné Mien Tham m’adresse humblement à Votre Majesté : Je sais que je ne pourrai pas revoir Votre Majesté. Que Votre Majesté se souvienne des mérites de nos ancêtres, qu’Elle garde le patrimoine. Des biens du peuple, il faut s’en servir avec modération. Les affaires de la cour et du pays, il faut les modifier selon des circonstances. C’est avec des larmes que j’écris ces lignes. Que Votre Majesté daigne juger.”


Le roi se sentait très ému de ces mots pathétiques du “placet légué”. À la mort du Prince Tung Thien, le roi écrit un texte racontant ses mérites. Cet éloge funèbre exprimait les sentiments sincères de regret et de douleur du roi devant la perte d’un personnage comme Mien Tham :


Les jours suivent les nuits comme l’eau monte et descend, tout dans la nature se meut, ce qui se crée disparaîtra, c’est chose naturelle, à quoi bon le déplorer ? … Moi seul je suis navré, mes regrets sont inconsolables, mes entrailles se tordent de douleur ! Un personnage comme Vous : épris de loi morale, expert en art poétique, dont les vers égalent ceux de la dynastie des T’ang, vous êtes unique, comment puis-je ne pas vous regretter ? … Au surplus, aux derniers moments, en pensant à l’intérêt de la patrie, vous m’avez envoyé un placet pour me conseiller ; je suis tellement ému de votre loyauté… Maintenant que je vais vous accompagner à la dernière demeure, je sèche mes larmes pour dire ces quelques mots de plainte. Que votre âme éveillée, compatissant à mon affection personnelle, réponde à mes confidences.”

Les sentiments du roi Tu Duc étaient sincèrement tristes. Avec la mort du prince Tung Thien, il a perdu un pilier, juste au moment où le pays sombra dans une situation tragique, les six provinces du Sud sont tombées dans les mains des Français qui essayèrent encore de s’emparer du Nord.


LA TRISTESSE DU ROI TU DUC


L’avènement du roi Tu Duc n’était pas sans encombre comme celui de Thieu Tri. Il accéda au trône d’après le testament du roi père, avec le soutien des grands mandarins et des princes du Sang comme Truong Dang Que, Nguyen Tri Phuong, Lam Duy Thiep, le duc Tuy Ly. Pourtant son cœur n’était pas léger à cause de l’affaire de Hong Bao. Chaque fois qu’il se sentait triste, il allait à la chasse au bois de Thuan Truc, ou organisait des réunions littéraires avec les hommes de lettres. Ce qui l’a profondément affligé, c’était la perte des six provinces du Sud dans les mains des Français. Il en devenait taciturne et recueilli, on le voyait rarement sourire. Après être atteint de variole, il s’affaiblit et maintenant son état était pire. Les mandarins et la Reine – Mère Tu Du s’en inquiétaient beaucoup. La tristesse de la reine – mère augmentait encore parce que Go Cong, son pays natal, était occupé par les Français . Étant la Mère d’État, elle souffrait de voir l’ennemi s’emparer de la patrie édifiée par des ancêtres . Elle souffrait surtout de voir le roi toujours méditatif et silencieux. Elle était une mère qui aimait beaucoup son fils et qui cherchait toujours à le distraire. Elle promit de récompenser quiconque pouvait égayer le roi. Les dignitaires de la cour proposèrent d’inviter la troupe théâtrale Thanh Binh à donner des représentations dans le palais.

Le chef de cette troupe était l’acteur Doi Vung. Il avait le talent de faire des facéties. Les rôles qu’il jouait apportaient toujours aux spectateurs des bons moments de détente. Après les recommandations de la reine-mère, Doi Vung refusa d’abord car il était facile de faire rire les autres, mais avec le roi, c’était infiniment difficile. Le roi était taciturne et sérieux par nature. De plus, la perte des six provinces du Sud l’a tellement affligé. Il réfléchissait au point d’affecter son physique. Alors même les saints n’arrivaient pas à le faire rire ! Mais la reine-mère a promis une bonne récompense. Encouragé, stimulé et même excité par elle, Doi Vung accepta finalement mais il dit à la reine-mère de le laisser agir selon les circonstances et d’intervenir en sa faveur s’il commettait une offense. La reine-mère y consentit.

Et voici ce que l’on raconte.

Doi Vung entra dans la scène en costumes du roi des Song. Le roi Tu Duc regardait. Il sortit de sa poche des cigarettes. Alors Doi Cung dans le rôle de l’empereur des Song s’approcha de lui et dit en baissant la tête :

- Laisse-moi faire une bouffée.

À ces mots, le roi Tu Duc en détresse pouffa de rire :

- Que tu es téméraire !

Doi Vung s’agenouilla en faisant des prosternations :

- La Grande Dame m’a dit de jouer le pitre pour faire rire Votre Majesté.

- Bon, lève-toi.

Après cette soirée, la Reine-Mère a donné une bonne récompense à Doi Vung et à sa troupe théâtrale. À partir de ce jour, tout le monde connaissait bien Doi Vung, celui qui a tutoyé le roi et qui a été récompensé.


LE MAUSOLÉE KHIEM LANG

ET LA RELATION ÉCRITE DE LA RÉSIDENCE KHIEM CUNG


En 1864, après avoir choisi le terrain au village Duong Xuan Thuong, le roi Tu Duc fit construire le mausolée avec le mandarin Nguyen Van Chat en qualité de contremaître et une main d’œuvre de plus de 2000 soldats et paysans. La construction durait 3 ans. En 1867, le mausolée achevé, le roi l’appelait Khiem Lang.

A la différence des autres monuments, le Khiem Lang était à la fois mausolée et résidence. Par rapport aux autres palais dans la citadelle, il y avait ici des bâtiments grandioses et magnifiques également. La construction de ce mausolée a causé en 1866 un soulèvement à la citadelle, que les contemporains appelaient “ les insurgés aux pilons à chaux ”.

L’enceinte extérieure du mausolée était le Bao Thanh ( Muraille Précieuse ), au milieu se trouvait un Bi Dinh ( Pavillon de Recueillement ) avec deux piliers en pierre aux deux côtés. À droite du front du mausolée on voyait une porche avec en haut un belvédère nommé Khiem Cung Mon. À l’intérieur, au milieu c’était le Temple Hoa Khiem dédié au culte du roi. Devant le Pavillon de Recueillement et le Pavillon de Prostration ( Bai Dinh ), il y avait des marches avec deux rangées de statues de pierre représentant des éléphants, des chevaux et des gardes royaux. Au Nord du Temple Hoa Khiem c’était le Temple Luong Khiem, à l’Est, le bâtiment Minh Khiem, à l’Ouest, le bâtiment On Khiem.

En bref, le mausolée du roi Tu Duc est un des plus beaux et des plus poétiques. Après sa construction le roi y venait de temps en temps prendre du repos. N’ayant pas d’enfant, il écrit lui-même un récit biographique qu’il appelait Relation écrite de la résidence Khiem Cung ( Khiem Cung Ky ). A travers ce texte, nous pouvons comprendre mieux sa vie et ses sentiments intimes.

Voyons comment il a fait l’auto-critique de ses 36 ans au trône. D’après Phan Hua Thuy, celui qui s’est donné de la peine à copier, traduire et annoter la relation écrite, le roi Tu Duc était “ taciturne, timide, il avait peu de fréquentations et vivait en douce ”.

Tu Duc écrit : “ Presque à l’âge de la majorité, au sixième mois, j’ai été atteint de variole très sérieusement, pour ne guérir que deux mois après grâce aux soins des parents… Quant aux invasions et guerres intérieures, bien des fois elles ébranlaient les cœurs mais finissaient par se tranquilliser. C’est la contribution de tout le monde, je n’y peux rien. Oh ! un ignorant habitué à une vie paisible, un sauvage jouissant d’un riche logement sans être protégé, la moitié des bons sujets et des généraux talentueux ont péri, qui peut suivre les conseils légués concernant la sauvegarde des frontières de la patrie, qui peut m’aider à échapper au cercle des défauts ? Les Européens, à mille lieues de distance, sont venus avec soldats et navires, renonçant à l’amitié pour chercher à s’emparer de notre pays. Comptant sur leurs armes et leurs bateaux, ils avaient l’ambition d’engloutir notre terre Quang Nam, de piller Gia Dinh.

Il y a partout des cambrioleurs, de connivence avec les ennemis étrangers, ils détruisent partout où ils vont. Qui va défendre le pays, défendre le peuple ?

Les rois antérieurs se sont donné de la peine dans l’œuvre de l’expansion du territoire. Tout d’un coup, ils voient une partie du pays offerte à l’ennemi. On a accepté un petit malheur en choisissant la mort pour ne pas offenser les rois, est-ce que c’est vrai ? Ce qui nous pousse, les dignitaires confidents et moi, à nous regarder et à agir en coupables envers la patrie et le peuple sans pouvoir rien faire… Mais, c’est ma faute de ne pas juger les hommes avec lucidité, c’est aussi ma faute de ne pas accomplir tant de travail.J’ai fait malgré moi ce que mon pouvoir me dicte avec l’espoir de trouver un moment de repos.”

Avec cette auto-critique, on peut voir que le roi Tu Duc s’est déclaré reponsable de la perte du territoire dans les mains des Français. Peu de gens agissent de la sorte.

A sa mort, le haut dignitaire Tran Tien Thanh intronisa, d’après les recommandations léguées, le prince Ung Chan avec le nom de règne de Duc Duc, règne qui commença une suite de troubles.


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(1) Than Trong Hue, cité d’après Histoire abrégée du Vietnam de Tran Trong Kim,

pp. 471-472.

(2) Annales de la cour nationale, note p. 348


Traduit du vietnamien

( Texte original : Nhà Nguyễn, chín chúa muời ba vua – THI LONG )



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